P - Alors, on commence avec le nom, le lieu et la date de votre naissance.
R - Je mappelle Jules Dumas Nguebou, je suis camerounais, je suis né dans la région de louest, sous les montagnes, dans une petite ville quon appelle Bafoussam?, en 1971, ça veut dire que jai 39 ans. Jai une formation de philosophe, mais aussi jai fait une formation en journalisme et communication à lUniversité dAbidjan et une formation aussi en démographie à lInstitut de Sciences Démographiques du Cameroun, qui est basé à Yaoundé. Et je travaille dans une organisation de la société civile qui sappelle Assoal, cest-à-dire Action Solidaire de Soutien aux Organisations et dAppui aux Libertés. En tout cas, Assoal est devenue ça, mais au début Assoal, cétait Association des Amoureux du Livre. En 1997, lorsque nous lavons mise en place, nous étions tous des étudiants en philosophie, en sociologie, en anthropologie à lUniversité de Yaoundé. Et nous avons mis en place cette association parce que nous avions des difficultés daccès aux ouvrages nécessaires à notre formation académique. Au début, cétait un petit club et lidée cétait que chacun achète un livre pour permettre aux autres davoir le maximum. À la fin de nos études, nous avons décidé de transformer le club en une association des amoureux du livre et lidée cétait de étendre la même expérience, cette fois-ci au sein des quartiers défavorisés. Il était question maintenant pour les familles de mettre en commun des livres pour quon ait des bibliothèques. Et autour de ces bibliothèques nous avons conduit des activités dinformation, mais également des activités de sensibilisation qui nous ont permis de nous rendre compte des problèmes de notre environnement. Et petit à petit, Assoal est donc devenue une association de développement urbain. Ça cest autour de 2001, à lissue dune réflexion interne mobilisant à la fois des membres, des anciennes et nouveaux, puisquentre temps il y a ce...
Continuar leituraP - Alors, on commence avec le nom, le lieu et la date de votre naissance.
R - Je mappelle Jules Dumas Nguebou, je suis camerounais, je suis né dans la région de louest, sous les montagnes, dans une petite ville quon appelle Bafoussam?, en 1971, ça veut dire que jai 39 ans. Jai une formation de philosophe, mais aussi jai fait une formation en journalisme et communication à lUniversité dAbidjan et une formation aussi en démographie à lInstitut de Sciences Démographiques du Cameroun, qui est basé à Yaoundé. Et je travaille dans une organisation de la société civile qui sappelle Assoal, cest-à-dire Action Solidaire de Soutien aux Organisations et dAppui aux Libertés. En tout cas, Assoal est devenue ça, mais au début Assoal, cétait Association des Amoureux du Livre. En 1997, lorsque nous lavons mise en place, nous étions tous des étudiants en philosophie, en sociologie, en anthropologie à lUniversité de Yaoundé. Et nous avons mis en place cette association parce que nous avions des difficultés daccès aux ouvrages nécessaires à notre formation académique. Au début, cétait un petit club et lidée cétait que chacun achète un livre pour permettre aux autres davoir le maximum. À la fin de nos études, nous avons décidé de transformer le club en une association des amoureux du livre et lidée cétait de étendre la même expérience, cette fois-ci au sein des quartiers défavorisés. Il était question maintenant pour les familles de mettre en commun des livres pour quon ait des bibliothèques. Et autour de ces bibliothèques nous avons conduit des activités dinformation, mais également des activités de sensibilisation qui nous ont permis de nous rendre compte des problèmes de notre environnement. Et petit à petit, Assoal est donc devenue une association de développement urbain. Ça cest autour de 2001, à lissue dune réflexion interne mobilisant à la fois des membres, des anciennes et nouveaux, puisquentre temps il y a ce dynamique, les gens viennent et repartent. À la fin de 2001, on a décidé de nous constituer en une association de développement urbain, qui, finalement, sest affirmée comme une action solidaire de soutien aux organisations et dappui aux libertés, parce quentre temps, il y avait autour dAssoal un certain nombre de bibliothèques, des clubs de lecture, des clubs danimation culturelle dans les quartiers de Yaoundé, mais aussi beaucoup dassociations de jeunes qui se sont créées autour de nos expériences. Lidée de les mettre en réseau est arrivée, suite aussi à des contactes internationaux, avec par exemple la Fondation pour le progrès de lhomme, la participation à la Rencontre africaine sur la décentralisation en Afrique et les enjeux dune participation des habitants des quartiers défavorisés en 1997. Tous ces contactes-là, avec le Conseil National des Villes de France et la participation au Festival de Créteil, des dialogues avec les pouvoirs élus de lhumanité et le contacte avec limportance des expériences dans lémergence des initiatives de changement social instituées... Tout ça nous a influencé positivement et nous avons donc décidé de nous constituer en une organisation dappui, parce que dautres initiatives petites mais importantes sétaient créées autour de nous et demandaient des appuis pour se développer, ce que nous avons fait finalement en 2002. Et Assoal aujourdhui sest spécialisée dans les problématiques de développement urbain, mais plus précisément sur la question de la participation des habitants des quartiers défavorisés. Notre enjeu cest comment construire une parole des habitants des quartiers défavorisés qui soit perçue comme telle, identifiée comme telle, dans le cadre, par exemple, de la discussion avec les collectivités territoriales décentralisées. Il y a des espaces qui sont crées par le truchement de la décentralisation dans notre pays, mais aussi dans le cadre du dialogues avec les ministères qui gèrent les politiques urbaines, les politiques économiques en milieu urbain et politiques sociales en milieu urbain, sans oublier que notre dialogue cest avec les entreprises qui font le jeu du marché avec le ministère et donc qui détiennent une parcelle du pouvoir réel, pouvoir dagir concrètement sur la vie des gens mais aussi sur les changements sociaux et économiques dans notre pays et qui parfois ne sont pas toujours trop regardants vis-à-vis des questions de droit, des questions déthique. Et la parole des habitants que nous cherchons à construire dans notre pays, cest une parole qui puisse aussi essayer de rentrer dans la dynamique des discussions avec le milieu économique et avec le milieu politique. Et, vis-à-vis du milieu politique, ce que nous cherchons cest que les décisions qui sont prises soient effectivement le réflexe de nos volontés, parce que nous sommes les habitants, donc nous sommes les citoyens. Et le milieu économique cest que le service quils rendent, soient des services qui qualitativement cadrent avec ce que nous attendons, mais aussi que les investissements quils bénéficient, en termes de mobilisation budgétaire pour agir, respectent un certain nombre de règles minimales en termes déthique, adéquation, qualité, prix et ainsi de suite. Nous pensons que ce dialogue à trois peut améliorer à la fois la gouvernance dans notre pays, peut améliorer laccès aux services sociaux de base, peut améliorer la jouissance des droits sociaux, économiques et culturels et surtout dans un État où effectivement, comme cest le cas le plus souvent pour les États de notre sous-région en Afrique centrale, où, je veux dire, la culture de la démocratie nest pas encore solidement racinée, que ce soit dans les esprits de ceux qui dirigent ou dans les esprits des citoyens. Nous pensons que par le dialogue, il y a des possibilités de faire quelque chose. Et ce dialogue, débute forcement sur léducation à la citoyenneté, sur léducation à la démocratie, sur léducation aux droits de lhomme en général mais surtout aux droits sociaux, économiques et culturels, parce que nous poursuivons les droits de lhomme, ça se confine un peu sur les droits civils et politiques. Alors que lune des armes de la citoyenneté cest quand même les possibilités qui sont offertes par les services, par le travail, par laccès, je dis la jouissance que procurent les politiques économiques. Avec ça, on est plus à même de sintéresser à la qualité de la décision. En tout cas, les deux vont de pair, on est très convaincu de notre option, mais, face aux difficultés, parce que cest un dialogue quil faut créer aussi, parce quil y a quand même des fractures entre ceux qui dirigent et nous qui sommes dirigés, ou entre ceux qui font les règles du marché et ceux pour qui les services sont supposés être proposés. Nous pensons quil y a deux enjeux quil faut dépasser et on ne pourra pas relever ces défis si on narrive pas a créer une sorte de cohésion, pas pour tomber dans lunanimité ou dans le consensus général, mais au moins que ces points de vue soient reconnus. Pour linstant, nous avons le sentiment, cest quil y a comme un dialogue réel entre le pouvoir économique et le pouvoir politique et dês négociations réelles et respectueuses des intérêts des uns et des autres, mais que du côté de la société civile et pour revenir au cas qui nous concerne, la société civile urbaine, les valeurs qui sont les nôtres nont pas la place quelles auraient pu avoir dans les négociations et que souvent les négociations entre les politiques et les économiques ne sont pas toutes des négociations pour que nous ayons des droits, pour que nous ayons des services. Alors, nous nous battons pour construire cette parole des habitants des quartiers défavorisés et faire que cette parole soit entendue, parce que cest dans lintérêt à la fois aussi du milieu économique et du milieu politique. Cest dans lintérêt général de notre société que ces paroles puissent être intégrées, que on puisse, lorsquon veut faire les politiques en matière, par exemple, daccès aux services sociaux de base, quon aille vers les quartiers, quon parte de là, quon le demande aux habitants de ces quartiers comment ils perçoivent déjà eux-mêmes leur environnement et quelles difficultés, dans la hiérarchie des difficultés, par quoi il faut commencer. Et quelles contributions ces gens-là ont aussi, parce que dans les quartiers il ny a pas que des problèmes, il y a aussi des solutions et ces solutions malheureusement ne sont pas toujours bien perçus dès lextérieur et donc nous travaillons pour rendre visibles les quartiers défavorisés et je veux dire apporter une image différente par rapport aux dynamiques qui sont internes et positives, aux politiques qui peuvent se construire pour les quartiers et dans lintérêt de notre société en général. Et donc voilà un peu le sens des luttes que nous menons depuis... jallais dire 97, mais qui remontent à plus loin encore et donc qui ont abouti à la mise en place dAssoal et du Réseau national des habitants du Cameroun.
P - Merci beaucoup. Est-ce quon peut rentrer un peu sur comme vous vous organisez pour travailler, pour améliorer par rapport aux enjeux des quartiers défavorisés et parfois quel type de lien vous avez fait pour faire ça?
R - Alors, comment on a procédé? Ce quil faut savoir cest quau début, nous avons mis laction sur les échanges dexpérience, on parlait de lexpérience de la lecture, parce quon nétait pas de professionnels, on navait pas demprise concrète ni sur les problèmes ni sur les solutions. On est parti de la lecture et on sest dit: "Mais tiens, il y a des choses qui se font ailleurs, pourquoi ça se ferait pas chez nous?" Lidée au début cétait dorganiser des séances déducation populaire, où nous partageons nos expériences de lecture. Par exemple, il y a des tas dimmondice, lordures dans le quartier, nous étions là dans les années 90, donc en pleine crise économique et on ne voyait parfois qui cétait un problème. On passait là pour aller à luniversité. Et puis après dans nos lectures on découvre que, par exemple, dans dautres pays, dAmérique Latine ou dAfrique de louest, il y a des gens qui sont organisés en associations et qui ont transformé par exemple les tas dordures en source de revenu, qui tout en nettoyant leur quartier gagnent de largent, parce quà lintérieur il a des matériels, du plastique quon peut recycler, il y a du fer quon peut revendre et des compostes quon peut utiliser pour les jardins. Mais ça, on ne savait pas avant nos lectures. Et quand on a lu, on sest dit: "Il faut peut-être le faire". Donc, je pense que cétait ça au début, partager linformation, surtout linformation qui peut être utile. Et autour de cette information on a fait naître certaines associations. Il y en a beaucoup. Si je prends le cas le plus frappant à Yaoundé: l’une des structures de pré-collecte dordures les plus anciennes dans le Cameroun et qui a fait naître beaucoup dautres dans différentes villes. Le groupe dinitiative commune des jeunes pour lenvironnement est né suite à ces expériences déchange dexpérience de la lecture. Ils ont crée de lemploi, ils ont dégagé des tas dimmondice quon avait au quartier et continuent aujourdhui à le faire à travers dautres quartiers où ils ont crée des emplois stables pour les gens qui, à lépoque, étaient sans emploi. Ça, cest un exemple concret. Dabord c’est le partage de linformation et ensuite on peut passer à laction, parce quil faut pas sarrêter non plus seulement à contempler ce quon a pu tirer de nos lectures, mais il faut amener les gens a agir. Au delà de ça, progressivement nous nous sommes dits, en faisant des expériences par exemple de pré-collecte ou en mettant en place des comités de développement qui ont aménagé les points durs, qui ont mis en place des forages... On sest posé la question de savoir finalement si cétait ça notre rôle, est-ce quon pouvait vraiment, imposant des actions comme celles-là, changer profondément notre quartier, par exemple, ou notre ville? Et la réponse était “non”. Parce que, effectivement, nous payons des impôts, en tant que citoyens, donc nous avons des droits. Les gens qui doivent, par exemple, agir pour quon ait de leau, pour quon nait pas des ordures aux quartiers, cest vrai qui cest nous, parce quil ne faut pas jeter les ordures nimporte où, mais cest aussi un système publique bien organisé, puisque nous payons des impôts pour ça. On a engagé à partir de cette période-là une stratégie de discussion, de négociation avec les collectivités territoriales décentralisées, mais le point de départ cétait effectivement de vérifier que nous sommes daccord que cest ça le vrai problème. Parce que il y a plusieurs dynamiques qui agissent des femmes, des jeunes, les autochtones, les allogènes. Il faut arriver à construire un point de vue et faire un sorte quune mobilisation sur un point de vue. Et ce quon a commencé à faire cétait le plan de développement des quartiers. On a lancé les premiers expériences des plans de développement des quartiers autour de 2002, et on a construit des plans de développement de quartier qui en fait sont le résultat dun processus de discussion interne aux habitants des quartiers, sur les problèmes, sur la hiérarchisation des problèmes, sur les solutions, et puis sur la hiérarchisation des solutions et puis sur la redistribution des rôles. Et à partir de ça on a développé les premiers réseaux de quartier avec des personnes qui avaient des mandats pour porter le plan de développement du quartier auprès de la commune ayant comme objectif que le budget puisse tenir compte de ce quon a envie de voir faire dans les quartiers. Ça, cétait le deuxième niveau de notre stratégie dintervention. Construire la parole, cest réfléchir à ce quon est et à ce quon veut devenir, mais aussi cest trouver des solutions aux problèmes auxquels on fait face et aller les montrer à ceux qui ont des, qui nous doivent, en tout cas, qui doivent nous rendre des comptes. Et ça on a arrivé à le faire à Yaoundé, avec un certain nombre de communes, qui ont intégré dans le plan dinvestissement, des priorités venant des quartiers. Par exemple, laménagement des voies daccès, les pavages de certaines voies, ça cest rentré dans le budget des collectivités électorales décentralisées par le truchement des plans de développement des quartiers bien battis. Mais il faut dire que pour que cette parole aussi ait la force, on fait que les plaidoyers soient adoptés, pour quils soient reconnu par le maire. Et ça, cest reconnu par des actes administratifs. Par des arrêtés qui valident le plan et qui demandent à tous ceux qui veulent travailler dans ces quartiers de sy référer, parce que cest le consensus venant du quartier. Mais il y a un deuxième niveau aussi de ce consensus, parce quaprès on a eu beaucoup de plans de développement des quartiers, il faut les fédérer au niveau urbain, donc avoir une vision aussi sur le développement de la ville globalement. Ça, on est arrivé à ça, en structurant les réseaux des quartiers en réseaux urbains. Mais cest pas un réseau pour un réseau, cest un réseau pour une parole, pour un intérêt quon veut défendre. Et ça on est arrivé à le faire et le dialogue à ce moment cest avec la communauté urbaine. Mais plus quun plan, on a eu des réseaux dans plusieurs villes, on a structuré aussi une parole au niveau national, donc à avoir un Réseau national des habitants du Cameroun, avec une agenda nationale, une stratégie nationale, des points que nous voudrions voir inscrire dans les politiques nationales. Et ça, je peux vous dire quon est arrivé à le faire, à faire passer de la stratégie nationale, par exemple, de promotion de mutuelle de santé du Cameroun, est une idée du Réseau national des habitants du Cameroun débattue dans le Congrès du Réseau des habitants, ensuite portée à la table de discussions au Ministère de la Santé Publique et cest devenue une politique nationale. Ou alors la stratégie de financement du logement social au Cameroun. Cest une idée du réseau national des habitants, débattue dans un congrès triennal, ensuite portée sur la table de discussions avec le ministère et le gouvernement et cest aujourdhui en train de devenir une stratégie nationale de financement du logement social. Voilà un peu la démarche, je pense quon fait un travail vraiment danimation, de sensibilisation, dorganisation, de structuration, parce quil y a de la réflexion là-derrière aussi. Mais après il y a tout un travail de plaidoyer quon mène, pour amener à intégrer nos préoccupations dans les politiques publiques au niveau local, au niveau régional, au niveau national. Mais, puisque les organisations parfois elles sont actives sur les terrains, on a besoin des exemples concrets aussi pour être persuasifs. Donc, il y en a qui peuvent continuer à aménager des routes, tout en étant conscients qui ce nest pas le sens de leur mission, mais que pédagogiquement ça permet davoir une légitimité et une crédibilité pour montrer qui cest faisable. Si on a pu par hasard faire une salle de classe, en cotisant, en mobilisant ailleurs, pourquoi avec le revenu publique on ne pourrait pas le faire? Si on a pu mettre à lécole des jeunes ou faire des formations professionnelles pour des jeunes en mobilisant nos moyens, pourquoi on ne pourrait pas le faire avec les fond publics? Cest un type pédagogique. Développement local, et ensuite on capitalise, on extrait la leçon, et après on peut faire, en faisant nos plaidoyers. Par exemple, on est en train de faire une opération de logement social à Yaoundé. Dix logements pilotes, cest très peu. Mais avec nos moyens, on a mis en place des mutuelles, des coopératives. On a sélectionné les premiers bénéficiaires, qui ont épargné. On a trouvé des partenaires, qui ont accepté, parce quon avait une, on avait une autre proposition. Par exemple, sur la question du logement social, cétait de dire: "Il y a des gens qui ne peuvent pas forcément avoir un logement sauf sils sont aidés. Il y em a qui peuvent pas devenir propriétaires, sauf sils sont soutenus". Mais il se trouve quand même quau Cameroun il y a une politique du logement qui soutient des gens. Mais cette politique soutient plutôt ceux qui normalement ont le moins besoin dêtre soutenus, parce quils ont déjà des moyens pour le faire. Et on nous a dit: "Non, ceux-là, ils sont dans le secteur informel, ils nont pas de revenu stable, donc cest difficile de faire du logement social soutenable avec eux". Et nous avons dit: "Non, mais cest possible. Cest possible si on les organise en coopérative. Cest possible si on les aide à stabiliser leurs épargnes. Cest possible si on leur donne les facilités pour accéder aux questions foncières, si on les aide par hasard à ne pas acheter du terrain non titré. Cest possible ensuite si on leur fait un accompagnement pour quils ne construisent pas sans respecter les normes. Cest aussi possible si après on les met un peu dargent pour quils remboursent dans le longue terme". Et cest ce qui se fait avec dautres catégories mais pas avec ceux-là. Et cest pour ça quon a des quartiers de bidonvilles. Et donc si on veut inverser la tendance, éviter que les bidonvilles sélargissent à linfini, il y a la nécessité de réfléchir à une stratégie nationale de financement du logement social. Et par logement social nous entendons le logement pour ceux qui ont vraiment du mal à se loger par leurs propres efforts. Et ceux-là, on les connait, par les facteurs économiques mais aussi par loccupation de lespace. Il sagit pas forcément des gens indigents ou des mendiants, cest des gens qui travaillent, qui épargnent, mais qui investissent dans la perte, parce quils construisent dans le marécage que demain on vient raser. Et ça cest notre plaidoyer. Mais comment on nous a dit, "cest pas possible", on a dit "mais nous, on va essayer une opération pilote". Dix logements, avec le dix premiers qui ont accepté et les chantiers sont ouverts à Yaoundé. Et nous espérons dici août avoir les trois premiers logements sous ce modèle et fin de lannée les dix premiers logements. Et nous pensons quavec des initiatives comme celle-là, on peut arriver à convaincre le gouvernement de la nécessité de mettre en place loffice national du logement, de mettre en place la banque de lhabitat, de mettre en place la bourse du matériel de construction, qui sont toutes des propositions issues des réflexions du Réseau national des habitants du Cameroun et pour lesquelles nous sommes convaincus, nous sommes hiperconvaincus que si ils sont bien gérés, loffice va accompagner les coopératives, qui vont produire des programmes du logement pour des catégories qui ont des revenus. Parce quon dit souvent quils travaillent, ils ont des revenus, même si cest au jour le jour. La coopérative peut aider à stabiliser ces revenus et à avoir une maîtrise de ces revenus et ensuite la coopérative peut interagir avec la banque de lhabitat, loffice peut aider la coopérative à monter le projet, la banque du matériel peut stabiliser les prix et minimiser les effets de linflation pour permettre à ces catégories, tant ils ont pris lengagement qui cest pour 100 millions, notre logement, quon ne dise pas à la fin que cest 100 millions à cause de linflation et tout ça. Donc, on a mené ces réflexions et on est en train de convaincre le gouvernement, qui est venu à la table de discussions avec nous, que cest faisable une politique du logement pour le 90% de la population camerounaise qui sont dans le secteur informel. Et qui développent les bidonvilles. Puisque à Yaoundé ou Douala, ces 10% des villes modernes et 90% des villes horizontalement, quon appelle villes spontanées. Cest possible de mettre fin à ça et tout le monde y gagne. Lautre point de nos discours, cest aussi à lÉtat, cest de dire: "Quand on rase une bidonville, combien de points de croissance on perd?" Puisquil faut retenir aussi leur discours. Tout le monde nous dit: "Il faut travailler pour la croissance". Oui, on est daccord, à la croissance. Nous, on na rien contre la croissance économique. Mais cest la croissance économique, même si cest pour, comme on le dit souvent, pour ceux qui ont des capitaux. Quand on vient raser un quartier qui a été construit en 30 ans, parce que souvent, les maisons dans nos quartiers à Yaoundé, cest comment ça commence: puisque jai eu de largent, jai acheté le terrain. Cest le point de départ. Et je navais pas de titre foncier parce quil ny a même pas linformation. Et puis cest tout leffort que je pouvais pu faire toute ma vie, puisque lespérance de vie aussi, cest 40 ans là. Donc, cest tout leffort que je pouvais faire. Jai acheté du terrain et jai laissé un enfant ou trois. Et puis mon fils, il va se battre, il lance le chantier. Il met le toit et il entre dans la maison. Il va vivre avec une maison qui na pas de porte, tout ça. Et puis lui aussi, lespérance de vie étant relativement très faible, il va passer et son fils, il va mettre les fenêtres, mettre les meubles. Cest dans le marécage, mais on aura une maison qui est, plus au moins, environnementalement, non vivable, mais qui quand vous allez à lintérieur, vous avez un minimum de confort. On a fait une petite étude qui a démontré que souvent les gens investissaient comme ça, sur les deux ou trois générations, dix millions de francs CFA. Cest à dire, en 30 ans. Dix millions de francs CFA. Mais il y a des mécanismes de garantie que permettent de rendre accessibles des logements sociaux sur 30 ans à dix millions. Mais en plus, nous avons aussi fait une étude qui prouve quon peut rendre disponibles des maisons à cinq millions de francs CFA dans la période de 30 ans. Donc, on peut lancer de programmes de logement social, sur cette période-là et en combinant lépargne des personnes qui sont dans le secteur informel, il suffit de faire travailler les coopératives et les agences de micro finance. Mais aussi en mobilisant des capitaux de fonds publics, puisquon paie des impôts pour ça, le logement cétait un droit, cest pas un cadeau quon demande. Pour revenir à cette expérience, ce petit cas concret, cas pratique, les luttes du réseau national des habitants, les luttes dAssoal, pour lesquelles nous sommes engagés avec beaucoup dautres amis il y a une dizaine dannées. Cest daméliorer laccès aux services et la jouissance des droits. Il ne suffit pas seulement quil y ait des services, mais en plus que ces services soient, que ça respecte les normes de qualité que, cest pour ça quon se bat.
P - Impeccable. Et sur les droits fonciers, sur les questions légales?
R - Oui, ça fait partie aussi de la réflexion sur la problématique du logement social, la question de la propriété foncière. Et les pouvoirs publics en général répondent: "Quand on navait pas de titre, on na pas le terrain". Mais ce quon ne nous dit pas cest quil y a 40, 45 ans, personne navait de titres. Et on était tous au Cameroun. Donc, on était tous des Camerounais, il y avait un autre droit. Ce droit, sur la question foncière, nétait pas appuyé sur le titre foncier, qui est récent. Alors, un travail quon a fait cest de dire: "Il faut déjà réouvrir la perspective de la réflexion sur la question du droit, notamment le droit rélatif à la propriété foncière". Cest vrai quau Cameroun on nous dit: "la Constitution reconnaît jusquà une certaine date, pour ceux qui étaient là, une sorte de propriété". Mais ce qui nest pas bien dit cest que les lois qui ont suivi cette constitution ont précisé que dans un intervalle de temps bien limité, quil y a dépassé, cétait je crois en 1974, cétait dix ans après, il fallait que tous ceux qui étaient là aient obtenu des titres. Passée cette période, ceux qui navaient pas obtenu des titres, leur terrain serait tombé à le domaine national. Alors, la question que nous posons au gouvernement cest, de 74 à 84, quel est le travail qui a été fait par le gouvernement pour que le citoyen sache que cette décision avait été prise par lAssemblée Nationale? Aucun travail. Donc nous revenons sur le principe de la responsabilité sociale du gouvernement, nous disons: "Daccord que nul nest censé ignorer la loi, mais aucun agent de lÉtat na le droit dignorer lui même sa propre responsabilité, puisque vous navez pas fait votre travail pour amener les citoyens à savoir quil fallait régulariser leur situation. Cétait dailleurs très facile de le faire et cétait gratis. Vous navez pas fait ce travail. Les gens sont restés dans lignorance dune décision qui était prise. Et dix ans après vous leur dites: ‘Cest retombé dans le domaine national, cest le domaine de lÉtat’". Ça cest le premier travail. Mais on ne peut pas tenir ce discours en méconnaissant la loi, puisque notre point de départ cest que comme des citoyens nous reconnaissons la force du droit. Puisque la loi reconnaît, pour les communautés, même quand cest retombé dans le domaine national, la possibilité d’une demande de rétrocession, nous avons commencé à organiser les communautés dans ce sens-là. En 2004, par exemple, nous avons mis en place une première expérience dans en développant une université quon a appelé lUniversité Citoyenne autour dune clinique dinformation juridique, en mobilisant des ressources bénévoles, avocats, géomètres?, mais aussi en ayant de bons contactes dans les services de cadastre, les services en charge des questions foncières au Ministère du Domaine. On a essayé de mobiliser ces ressources et on a organisé les habitants en mutuelle des mal logés, des mutuelles pour la sécurité foncière. La mutuelle a fixé, sur la base dune étude que nous avions faite une base de cotisation pour les gens qui occupaient ces premiers espaces, les gens cotisés. Cette cotisation a permis, par exemple, dassurer les charges administratives, liées au dossier, le plan, et on a pu obtenir, par exemple, sur un des quartiers dYaoundé, un titre commun pour environ 30 familles. Un titre foncier, cest possible. Mais ce quil faut dire cest quYaoundé, par exemple, cest tout vendu. Par les propriétaires terriers de droit traditionnel à des communautés qui viennent de lintérieur du pays. Mais ceux qui vendent, ils vendent parce quils savent quils ont perdu le droit. Donc, en fait, ce sont des ventes illégales. Et les gens sy installent, en disant "jai acheté". Parfois, le titre quon présente cest un reçu de versement dargent quon avait même signé, pourquoi pas, dans un bar. On a comme ça des dizaines de quartiers à Yaoundé, avec des centaines de familles qui sont installées sur des sols qui soit appartiennent à lÉtat, qui soit, en fait, entretemps appartienent à lÉtat, à la commune ou à une entreprise dailleurs privée. Ces familles ont dépensé de largent à un individu qui se présente comme autochtone, cest-à-dire comme propriétaire naturel du sol. Et vous pouvez imaginer, ce type de tension entre des tribus autochtones, allogènes peuvent être, ces tensions, combien elles peuvent être alimentées par les difficultés dordre, par les conflits dordre foncier. Donc, nous avons entrepris, pendant la période de cette première expérience sur dautres quartiers, un travail daccompagnement des communautés autochtones et des communautés allogènes qui y sont installées dans le cadre dune médiation, parce que dans certains cas, ces communautés autochtones ont obtenu le titre après. Et nous disons, ça cest plutôt bien. Plutôt que dêtre en soi une mauvaise chose, nous amenons donc ces communautés à rentrer en dialogue, à renégocier des contreparties que les communautés peuvent reverser pour entrer dans le domaine du morcellement et donc devenir propriétaire. Et ça aussi, sur un des quartiers dYaoundé, cette expérience aussi est en train daboutir, des médiations entre une famille autochtone et deux familles allogènes quy sont arrivées avec un accompagnement, bien évidemment, pour que finalement cette communauté puisse vivre dans une sorte de cohésion. Cest un travail, à mon avis, de longue haleine, parce quon ny va pas du jour au lendemain, si je prends par exemple, le cas, en 2004, on a commencé la discussion sur la question foncière, mais cest en 2007 quon a eu le premier titre foncier, qui appartient dailleurs à une famille autochtone, mais cest quand même sorti le titre. Et là, on est cette année en train daller vers le morcellement. Et je pense que tout se passe très bien, puisque cest le plus facile à faire. Les familles sentendent avec les vendeurs et donc normalement, nous pensons que dici à la fin de lannée, le morcellement, les gens auront les titres des morcellements et donc ils seront propriétaires de leurs petits terrains. Ce qui va donc contribuer a améliorer leurs solvabilité, sur des questions du crédit pour construire. Ayant des titres fonciers, ils pourront donc construire. Mais jallais aussi ajouter que cest pas seulement la question de la sécurité foncière, cest aussi la question des droits durbanisme. Puisque pour aménager une ville, il y a des règles. Mais ces quartiers nont pas respecté ces règles. On y réfléchis aussi et avec toujours les mutuelles en questions des mal logés, des réflexions ont commencé, qui va céder des mètres pour que la voie passe? Qui va céder trois mètres pour quon puisse installer une bonne fontaine? Qui, puisquil y a des normes en matière durbanisme quil faut respecter pour être sûr quon va avoir un permis de bâtir. Et ça cest de la médiation sociale, quon le fait avec des gens quon a formés et qui ont eu des formations de para-juristes, qui savent aussi utiliser des techniques de communication sociale pour amener les gens qui sentendent pas à dépasser leurs contradictions. Donc, sur la question du titre foncier, voilà aussi une des expériences sur lesquelles nous sommes engagés, cest encore à une taille petite, minuscule, mais qui nous permet après de montrer que cest possible de restructurer les quartiers sans forcément déplacer les gens vers les périphéries. Cest possible de restructurer le quartier en valorisant leur terrain, puisque cest de la richesse, souvent, quand on vient les casser et quand on leur demande daller en périphérie, ce quon leur dit pas cest que la valeur du terrain peut-être a multiplié les 200 fois. On leur dit pas, on leur casse, on les amène à la périphérie, dans le meilleur des cas on leur donne du terrain, dans le pire des cas on leur donne rien de tout et on leur dit quils ont occupé illégalement des sommes. Donc, voilà les luttes pour lesquelles, sur les questions foncières, on est aussi engagés.
P - Et jentends que, pas seulement sur cette question, vous avez une activité de formation importante.
R - Oui. Tout ça bien évidemment ne peux pas réussir sil ny a pas une bonne démarche déducation à citoyenneté. On a démarré nos Universités itinérantes citoyennes. Avec la création dAssoal et du Réseau national des habitants, cétait lessentiel de nos activités. Et les Universités itinérantes citoyennes, cest en fait des occasions de discussion. Parfois très, très, informelles, un médiateur social qui débat dans une communauté, quil a dailleurs préparé en avance pour un débat sur des sujets qui intéressent à la communauté, peut-être la question du titre foncier. Lannée dernière, par exemple, on en a fait 16 Universités itinérantes citoyennes dans la ville seulement dYaoundé, et à la demande des quartiers le thème était: "Comment accéder à la propriété foncière?" Cest souvent des thèmes annuels, dans le Réseau des habitants. Et cette année, on a reconduit le même thème, à la demande dautres quartiers, il y en a plus de 16 qui se sont déjà inscrits. Ce quon fait cest quon identifie dans les réseaux des habitants des personnes qui ont une base de formation académique, juridique. On les réunit dans un atelier de formation sur les procédures, et le processus pour accéder au titre foncier. Ça peut durer deux, trois jours, et ces ateliers sont animés par des gens aussi expérimentés, des gens venant du ministère du domaine, donc qui savent quils peuvent passer la bonne information. On va leur mettre à la feuille une boîte à outils, avec un support pédagogique et ils vont aller vers les quartiers pour transmettre ce quils ont pris dans le cadre de cet atelier ou communautés bénéficiaires. Cest ce qui nous appelons les Universités itinérantes citoyennes. Mais cest pas le seul thème. Sur le processus électorale, on fait aussi pareil. Sur la vie démocratique, ce que cest la démocratie, les valeurs, les principes de la démocratie. On a des universités de ce genre. On sadresse à des adultes qui ont des responsabilités, et ça veut dire pendant la formation de nos médiateurs, on insiste sur la démarche pour passer linformation. En fait, ça se passe sur forme datelier en général. Cest juste que vous avez passé la première information et vous le mettez in situation, vous avez votre terrain, vous voulez avoir votre titre foncier, comment vous faites souvent? Et déchange en échange, on va passer à la restitution, et les facilitateurs vont juste compléter: "Ah, oui, dans votre démarche ici, il vous manque le plan, cest pour ça que votre dossier est bloqué", et ainsi de suite. "Là, vous navez pas payé la taxe foncière, cétait pour ça que ça a bloqué" et ça complète. À la fin on va sortir une planche dune feuille sur les étapes et les dossiers, les pièces, les éléments quil faut remmener. Et ça permet, maintenant, aux citoyens eux-mêmes, sils le souhaitent, de rentrer dans la démarche pour obtenir leurs titres, leurs titres fonciers. Sur notre plan stratégique actuel du Réseau national des habitants, on a focalisé beaucoup sur la question de la propriété foncière. Parce quon ne peut pas habiter sans avoir le droit dhabiter. Et comme le droit de lÉtat minimise le droit coutumier dhabiter, nous disons "mais cest pas un droit, cest pas réservé à ceux qui sont allés à lécole, nous aussi on peut avoir ce titre foncier". Il suffit de sorganiser et de faire pression sur les fonctionnaires chargés de distribuer ces papiers pour les avoir. Et donc, cest le thème central des Universités itinérantes du Réseau national des habitants pour les trois prochaines années, mais couplé aussi au processus démocratique, à la décentralisation, qui sont des thèmes qui vont avec aux droits économiques et sociaux, parce que, quand je veux de leau, est-ce un besoin ou est-ce un droit? Quand je veux une route, quand je veux un centre de santé, est-ce un besoin ou un droit? Cest le thème pour les trois prochaines années du plan stratégique du Réseau national des habitants du Cameroun. Et en tant que réseau, notre travail cest de former les médiateurs. Cest des ateliers de trois jours. On les forme et ensuite ils vont aller dans leurs communautés, ils vont diffuser linformation quils on reçu dans le cadre de nos ateliers. Et après il y aura des sollicitations pour les accompagnements et à dautres dispositifs pour faire ces accompagnements. On a mis en place, par exemple, à Yaoundé un bureau dappui aux organisations de développement local qui mobilisent des volontaires, des bénévoles. Vous voulez monter un projet, comment le faire? Vous voulez monter un dossier, comment on peut le composer? Et ces bénévoles, appuyés aussi par des partenaires, puisquon en a certains programmes avec dautres partenaires pour des compensations assez symboliques pour se mettre à la disposition des communautés pour les aider et en même temps se former. Ce quil faut dire, c’est qu’on travaille avec des étudiants de grandes écoles en formation en planification, développement urbain dYaoundé. Ça permet de faire des choses, sans forcément se bloquer sur la question des moyens. Parce que souvent, cest quon dit est: "on na pas de moyen, on na pas dargent, donc on va arrêter". Mais cest pas largent qui amène le travail, cest le travail qui amène largent. Donc, il faut se mettre au travail, et en travaillant on va transformer certaines difficultés en ressources et petit à petit on peut arriver à constituer des fonds, par exemple pour lancer une mutuelle de santé. Largent ne viendra pas du ciel, ça viendra de nos poches. Pour lancer une mutuelle de santé, pour contractualiser avec une formation sanitaire, on na pas besoin dargent. On a besoin plutôt dune information et dun modèle de contrat. Puis, bien sûr, dun bénévole qui peut accepter daller et de revenir, daller et de revenir pendant deux, trois mois et de contractualiser. On peut faire une mutuelle de santé, comme nous lavons fait à Yaoundé, sans forcément se bloquer sur la question “doù viendront les moyens”. Mais après on va dire: "Non, mais vous avez mal défini les contributions, le cotisation...". Après, si quelquun peut nous aider à améliorer, en faisant des analyses, ça peut suivre. Mais il faut pas se bloquer sur la question: “on na pas fait détudes de faisabilité, donc on commence pas”. Non. Nous, on va commencer, et après, petit à petit, puisque souvent largent de létude de faisabilité, ça nous ferait déjà le fonds pour sécuriser la prise en charge des malades. Quand vous êtes vraiment dans une dynamique de changement social, vous ne vous bloquez pas sur la question des ressources financières ou des ressources matérielles, parce que si vous avez les hommes, si vous êtes volontaires, si vous êtes engagés, le reste cest à poursuivre. Alors, maintenant sur la question de la corruption, on fait du partenariat entre la société civile et les pouvoirs publiques. Je dois dire que cest encore un processus. Cest que la reconnaissance de la société civile comme acteur, comme force de changement social ou même comme acteur politique, en général, dans notre pays est assez récente. Donc, autant on a dans les administrations des gens assez sensibles à ces préoccupations à ces questions, autant on en a encore en grande nombre qui sont insensibles. Il faut quon fait un travail pour les amener à comprendre quel pourrait être lintérêt dun meilleure implication de la société civile dans la réflexion après des décisions, la mise en œuvre des actions, lévaluation des actions. Pour la société entière, et non pas forcément contre ceux qui gèrent. Sur cette question par exemple, on ne peut pas arriver à faire un partenariat si on travaille pas sur les questions des principes du partenariat. Si on nanalyse pas leur rôle et le positionnement des uns et des autres. Il se trouve que dans notre pays à lheure actuelle, cette réflexion, elle est encore assez embryonnaire. Par exemple, vous allez voir dans certains ministères des gens bien intentionnées, qui veulent travailler avec la société civile, mais qui vont soumettre les organisations concernées au procédure des appels doffre du marché. Selon le code du marché publique Il y a un code qui organise le partenariat entre lÉtat et les organisations à but lucratif. Bien évidemment, vous avez des organisations qui vont sengouffrer dans certes brèches, intentionnées ou pas bien intentionnées, cest pas ça le débat, mais la question que ça soulève, cest la question comment peut-on arriver à conjuguer, à sadapter aux règles du marché sans se laisser corrompre? Sans perdre soit son identité, soit le positionnement par rapport à son rôle? Ou alors sans se remettre en cause par rapport aux valeurs quon a défendues? Souvent, entre nous, certains acteurs disent: "Non, nous, on travaille, vous, vous ne pouvez pas prendre des financements auprès de lUnion Européenne, ou de la coopération Américaine et refuser de prendre largent au gouvernement". Non, cest pas ça notre débat. Dailleurs, prendre des sous au gouvernement pour travailler cest un droit, cest un droit que nous revendiquons aussi. Mais comme tout droit, il y a des contreparties. Il faut clarifier les règles du jeu. Et je pense que la première lutte serait damener le gouvernement à éditer des lignes directrices pour le partenariat entre lui, en tant que gouvernement, et la société ou les organisations de la société civile. Nous sommes engagés dans ces chantiers au Cameroun avec dautres organisations au sein de la plateforme sur les droits sociaux, économiques et culturels que nous avons aidé à mettre en place. Et nous pensons que petit à petit on peu arriver à édicter ces règles-là et donc à rendre transparente la collaboration entre lÉtat, représenté par le gouvernement, et les organisations de la société civile, sans que le travaille de partenariat débute forcément sur la corruption ou sur la remise en cause des valeurs pour lesquelles on sest initialement engagés. Cest une des luttes aussi sur lesquelles nous sommes impliqués.
P - Merci. Vous êtes aussi aujourdhui coordinateur dAssoal, secrétaire général du Réseau national des habitants. Quest-ce que cest, dans cette trajectoire, dans ces années, votre apprentissage personnelle?
R - Alors, moi, je dois tout à Assoal et au Réseau national des habitants. Comme je vous ai dit au début, je suis issu dune formation en philosophie. À luniversité, jétais intéressé par les connaissances et ce que je cherchais à faire dans ma vie cétait être professeur de philosophie. Dailleurs, jai passé le concours de lÉcole Normale et javais fait ce concours pour être professeur de philosophie au lycée. Mais par la suite, jai dû me résoudre à faire le travail que je fais actuellement avec beaucoup de passion, pas forcément parce que mes collègues mavaient appelé, mais parce quaussi je me sentais plus à laise et plus libre de réfléchir, dagir dans la société civile que dans une salle de classe. Je ne men suis pas trop éloigné, puisque ce que je fais dans les quartiers cest la même chose que jaurais pu faire dans les salles de classe, sauf que cette fois-ci je madresse à des personnes qui ont une énergie transformatrice, un peu plus forte, sans minimiser celle quon pourrait avoir dans les salles de classe, parce que dans les salles de classe on a lénergie pour accumuler les connaissances, alors que dans les quartiers on a des gens qui cherchent de linformation pour transformer leur société. Cest la nuance, mais cest le même boulot. Alors, donc, moi jai tout appris finalement dû aux habitants, puisque le contacte avec des péages, sur les problématiques, les questions de mondialisations, les questions de la gouvernance. Jai fait la formation en journalisme aussi, mais cest parce que javais envie de transmettre, de collecter des donnés et de les partager avec dautres, partager et puis, surtout, de rendre compte de ce qui se passe autour de moi, pourquoi pas, davoir des outils pour interpeller, de rentrer en dialogue tout en ayant les meilleures armes pour le faire. Jai été transformé plus au moins par mon engagement dans Assoal et personnellement sur des questions de valeurs, les questions de genre, défendre les droits des femmes, les droits des enfants, on nest né pas forcement avec. Je crois quil faut aussi se confronter à certaines situations pour se rendre compte que cest vraiment des préoccupations. Et je pense que beaucoup dentre nous qui se sont, qui se sont investis dans ces luttes, ont été plus au moins contaminés. Une contagion positive, bien sûr. On agit parce quon a envie dêtre utile à soi même, à sa famille, à sa communauté, à sa société, aux hommes vivants, mais pourquoi pas à la postérité? Finalement, cest pour ça quon est en mouvement. Mais non, si on gagne, par exemple, on sexprime bien en public, prendre la parole en public, cest pas donné à tout le monde. Au début, tout le monde est timide. Jétais dailleurs parmi les plus timides. Mais petit à petit... Je me souviens quand, à la première fois que je me suis trouvé dans une réunion de dialogue avec le Ministère de la santé publique sur la réforme de lassurance maladie qui a fait venir les mutuelles de santé au Cameroun. Dans la salle, je représentais la société civile, jétais la seule association camerounaise. On était deux ONG, il y avait une ONG suisse et puis une organisation camerounaise. Sur une trentaine de personnes représentant le milieu daffaires, les secteurs des assurances, les ministères techniques, les partenaires au développement. Et javais juste un petit message à passer. Cétait de dire: "La réforme de lassurance maladie oui, cest pour 10%. Cest des gens qui travaillent dans les secteurs formels. Il faut intégrer les mutuelles de santé. Cest pour 90%. Et cest pour la majorité de la population camerounaise". Mais cétait pas évident. Jétais timide, et il a fallu par un moment certains alliées quon avait soit dans le camp du gouvernement, soit dans le camp des partenaires privés. Cest pour ça que je dis, il faut entrer en dialogue, il ny a pas le camp du bon et du méchant. Il suffit pas dêtre dans le ministère pour forcement être le méchant ou il ne suffit pas dêtre dans la société civile pour être lange. Il ny a pas un camp pour ça. Je pense quil faut faire, cest créer les meilleures occasions de confrontation et être attentif pour tirer les meilleures leçons et avancer. Et donc, il y a un fonctionnaire qui ma dit: "Et le message, là? La réunion va bientôt sarrêter et tu nas encore rien dit". Jai levé mon doigt et prendre la parole, je nai dit que ça. Mais par la suite le débat sest focalisé là-dessus. Et, au lieu de la réforme de lassurance maladie, on est allé vers une stratégie nationale de mutualisation du risque maladie, qui a permis de gagner lassurance maladie mais dinclure les mutuelles de santé pour le secteur informel. Cétait un petit dexpérience pour dire, prends la parole. Ça cest le meilleur gain que je puisse tirer de mon engagement social, étre capable de mexprimer. Et cest ce que je fais au quotidien, damener les femmes, les jeunes, dautres, les habitants des quartiers qui ont perdu parfois confiance à retrouver leur confiance en nous et à regarder la société autrement, positivement, et surtout à être capable, partout où il y a une tribune, dexprimer ce quils pensent, parce que souvent il y a de très bonnes réflexions qui peuvent contribuer à des choses. Donc, je ne sais pas si je réponds à la question, mais voilà, ce que jai pu gagner finalement cest le droit à la parole. Je suis au Forum mondiale, cest le droit à la parole. Mais il faut pas non plus avoir une grosse tête. Il faut être capable de faire en sorte que cette parole soit une parole utile. Pas simplement le bavardage. La meilleure façon déviter tout ça est de se laisser contrôler par les autres. Se soumettre au contrôle des paires et daccepter de quitter si on ne veut plus quon y soit. Et de laisser les autres aussi avancer. Cest la meilleure façon déviter le risque de cooptation. Voilà.
P - Et par rapport à cette Forum et plus en général à les Réseaux Internationaux, lidée de monter une assemblée mondiale des habitants, quels sont vos attentes et plus en général votre rêve pour ces réseaux des habitants?
R - Moi, je pense que, une alliance mondiale des habitants qui contribue à rendre effectif le droit au logement serait pour moi la meilleure des choses. Et le droit au logement commence par aider les gens à avoir les titres fonciers. Il ne faut pas refuser le droit de lÉtat. Parce que lÉtat, cest pas le gouvernement. LÉtat, moi, mes cours déducation civiques que jai révisés à un moment donné pour vérifier, lÉtat cest pas le gouvernement. LÉtat, cest lensemble composé par un gouvernement, un territoire et une population, donc des citoyens. Et si on a dit que, à un moment donné, peu importe, on était pas là, mais on ne sera pas toujours là. Nous aussi, on prend des lois aujourdhui que dautres vont observer demain. Et pourront les modifier ou les remettre en cause, mais toujours en tant quelles seront en vigueur, elles seront des lois. Une alliance mondiale des habitants devrait pouvoir arriver à faire que le droit au logement soit réel et ça commence par sécuriser, amener les gens à rentrer, à obtenir les certificats, comme nous, on le dit au Réseau des habitants, la carte didentité du monde capitaliste cest la propriété. Tu as quoi? Tu nas rien, tu nes rien. Il faut pas cracher là-dessous. En commençant déjà par avoir des titres fonciers, cest la première chose. À avoir des logements et à avoir des titres de propriété sur nos logements, mais on peut y associer le débat sur la qualité du logement, sur les services qui accompagnent le logement. Mais le centre de cette affaire, cest la propriété foncière. La question du droit au logement ne peut pas se résoudre en dehors de la propriété foncière ou de la propriété du logement. Et avec ça, on peut aller en banque. On est crédible quand on a déposé un titre foncier, donc on peut lancer sa petite ferme. On peut lancer son unité pour produire les meubles. Tout en habitant. Cest un gain. Ce qui fait la différence entre certains qui habitent des quartiers défavorisés et dautres, cest que parmi nous, certains ont des titres fonciers. Et déposent ça en banque. Ils obtiennent un crédit et ils lancent leur épicerie. Ils vivent dans leur maison et lépicerie produit des revenus. Ils sont dans le système. Ils sont crédibles. Cest, à mon avis, lun des arcs centraux sur lesquels lAlliance mondiale des habitants devrait pouvoir travailler. Plus que sur, sans minimiser bien sûr les questions de la qualité, améliorer la qualité des logement, cest des préoccupations intéressantes. Mais en tant que Camerounais africains, sachons que la question de la propriété chez nous est assez ambiguë, surtout la question de la propriété foncière. Le consensus est quil faut avoir le titre pour être propriétaire. Alors, il faut aller vers les titres en question. Il ne faut pas laisser que des gens titrent des domaines de 50, 100, 200 hectares seules, pour après se mettre à revendiquer. Il faut que nous tous, on aille vers les titres fonciers en question. Quon sécurise nos occupations. Quon soit en ville ou en village, parce quaprès ça nous donne dautres droits que pour le moment nous navons pas. Ça cest pour moi le centre dintérêt de lAlliance, faire de la prochaine Assemblée mondiale des habitants, moi jinvestirai pour que effectivement on en sorte avec pas seulement des idées, mais aussi peut-être des pistes, des lobbys, des plaidoyers, des démarches de facilitation, daccompagnement, parce quil faut pas envoyer les gens individuellement. Un titre foncier, au Cameroun, tous frais inclus, ça coûte environ cinq-cent mille francs CFA. Individuellement, on ne peut pas avoir ce titre, il y a des gens qui nont pas de revenus pour le faire. Mais en communauté ça fait cinq-cent mille divisés par 100, par 200, par 300 et on a le titre. Mais après pour le morcellement, on peut prendre tout son temps. Donc voilà pour ma préoccupation concernant lAlliance et la prochaine Assemblée mondiale des habitants.
P - Merci beaucoup.
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