Minibiographie
Alberto Araújo est né à Lisbonne en 1923. Après les élections présidentielles du 18 juillet 1958, Alberto - partisan de Humberto Delgado - se sent menacé par la PIDE et émigre au Québec avec sa femme. Ébéniste de profession, il se passionne pour les meubles anciens du Canada français. En janvier 1960 il participe à la création de la “Casa dos Portugueses” à Montréal. C’est avec beaucoup de fierté qu’il parle des ses amitiés. Jean Lacasse, un célèbre antiquaire de l’Avenue Van Horne; Jean Palardy, auteur du livre “Les Meubles anciens du Canada français”; sans oublier le prix Nobel José Saramago qu’il a rencontré plusieurs fois. En 1982, il rentre au Portugal avec l’idée de s’y installer définitivement. Pourtant, en 1994, il repart à Montréal qu’il n’a plus l’intention de quitter. “J’aime le Québec… je suis très fier d’être ici”, nous confie-t-il.
Identification
Je mappelle Alberto Araújo. Je suis né en 1923 au Portugal, plus précisément à Lisbonne.
Éducation
"Jai étudié le dessin"
Au Portugal, jai fait lécole secondaire et jai étudié le dessin. Jai aussi appris le français et la grammaire anglaise parce qu’au Portugal, il fallait apprendre le français et langlais à lécole secondaire. Le français dabord, puis langlais. Jai appris la grammaire anglaise, mais je préfère parler le français.
Politique
"Un type a pointé sur moi sa mitraillette"
Quand jétais ébéniste au Portugal, la situation politique était très, très difficile. Jétais dans la période de dictature d’Oliveira Salazar qui avait une police politique. Il y avait juste son parti, le parti du gouvernement. Ça sappelait: "União Nacional". Les gens qui étaient contre Salazar étaient considérés comme des communistes et envoyés en prison, torturés... Quelques-uns sont même arrivés au camp de concentration de Cap Vert: Tarrafal. Beaucoup de monde est mort là. La vie était tellement...
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Alberto Araújo est né à Lisbonne en 1923. Après les élections présidentielles du 18 juillet 1958, Alberto - partisan de Humberto Delgado - se sent menacé par la PIDE et émigre au Québec avec sa femme. Ébéniste de profession, il se passionne pour les meubles anciens du Canada français. En janvier 1960 il participe à la création de la “Casa dos Portugueses” à Montréal. C’est avec beaucoup de fierté qu’il parle des ses amitiés. Jean Lacasse, un célèbre antiquaire de l’Avenue Van Horne; Jean Palardy, auteur du livre “Les Meubles anciens du Canada français”; sans oublier le prix Nobel José Saramago qu’il a rencontré plusieurs fois. En 1982, il rentre au Portugal avec l’idée de s’y installer définitivement. Pourtant, en 1994, il repart à Montréal qu’il n’a plus l’intention de quitter. “J’aime le Québec… je suis très fier d’être ici”, nous confie-t-il.
Identification
Je mappelle Alberto Araújo. Je suis né en 1923 au Portugal, plus précisément à Lisbonne.
Éducation
"Jai étudié le dessin"
Au Portugal, jai fait lécole secondaire et jai étudié le dessin. Jai aussi appris le français et la grammaire anglaise parce qu’au Portugal, il fallait apprendre le français et langlais à lécole secondaire. Le français dabord, puis langlais. Jai appris la grammaire anglaise, mais je préfère parler le français.
Politique
"Un type a pointé sur moi sa mitraillette"
Quand jétais ébéniste au Portugal, la situation politique était très, très difficile. Jétais dans la période de dictature d’Oliveira Salazar qui avait une police politique. Il y avait juste son parti, le parti du gouvernement. Ça sappelait: "União Nacional". Les gens qui étaient contre Salazar étaient considérés comme des communistes et envoyés en prison, torturés... Quelques-uns sont même arrivés au camp de concentration de Cap Vert: Tarrafal. Beaucoup de monde est mort là. La vie était tellement difficile que tout le monde avait peur. On ne pouvait pas se parler tranquillement ou librement. Il fallait faire attention aux autres personnes, aux voisins... Parce que si quelquun parlait trop contre le gouvernement, évidemment cétait dénoncé à la police politique. Il y a eu beaucoup dinnocents qui ont été arrêtés, juste parce quil y avait des gens jaloux. Les prisonniers recevaient une lettre par semaine, par mois ou moins. Si la police politique voyait quils navaient pas rien, alors elle les libérait. Cétait la terreur. A lépoque cétait Franco qui dominait en Espagne. Là aussi, cétait une dictature fasciste. Au Portugal Salazar avait copié dItalie tout le système syndical. Cétait le Corporativisme.
En 1947, je travaillais à mon compte, javais un atelier, une vie stable. Je gagnais ma vie normalement. Mais il y a eu des élections. Il y a eu un candidat qui sest présenté aux élections de la République Portugaise. Cétait le Général Humberto Delgado. Et jai participé à lélection de ce monsieur. Cétait un homme qui, curieusement, venait du système salazariste. Cétait un homme sérieux qui avait créé des mouvements de jeunesse appelés "Mocidade Portuguesa". Cétait un ouvrage créé par ce Général qui était considéré comme un dauphin de Salazar. Comme par hasard, il sest retourné contre Salazar, il a trouvé que cétait le moment de dire:
- "Fini"
Alors ils ont fait des élections démocratiques et il sest présenté aux élections.
Tout a bien marché jusquau moment où le Général Humberto Delgado a été reçu par les populations du Nord et du Sud comme un "libertador", une personne qui allait libérer le Portugal de la Dictature. Dans son café à Lisbonne, il a donné une entrevue à des journalistes du monde entier... Un journaliste espagnol lui a demandé ce quil allait faire concernant Salazar, au cas où il gagnerait les élections et lui, il a dit carrément et directement:
- "Obviamente, demito-o"
Il voulait démettre Salazar de sa fonction de premier Ministre. En disant ça, Humberto Delgado sest, du jour au lendemain, transformé en ennemi à abattre à tout prix. Les élections ont eu lieu mais avec des conditions fantastiques. Cétait les premières élections considérées libres. Il y en avait eu beaucoup dautres avant, mais cétait toutes des fraudes, elles narrivaient même pas au bout de lacte électoral. Celle-là est arrivée à lacte électoral mais il y a eu beaucoup de problèmes: des bulletins de votes qui nétaient pas les mêmes, des listes, des candidats qui nétaient pas classés...
Le Parti de Humberto Delgado sappelait Parti Indépendant. Il y a eu des arrestations, des poursuites de toutes sortes contre ses partisans. Pourtant le jour des élections est arrive, cétait le 8 juin 1958. Moi jétais là comme délégué du Parti Indépendant pour assister au comptage des votes. Javais ma "credencial" délivrée par le gouverneur de Lisbonne. Le scrutin se faisait à lAcadémie de Médecine à Lisbonne, au Campo de Santana. Quand je suis arrivé avec ma "credencial" pour assister au comptage des votes, jai été mis à la porte avec une mitraillette dans le dos par la PIDE, la Légion Portugaise. Cétait comme les chemises brunes en Allemagne et les chemises noires en Italie. Alors elle m’a mis dehors en disant:
- "Votre "credencial" ça vaut rien Dehors Cest pas votre place ici"
Un type a pointé sur moi sa mitraillette, et il ma dit:
- "Tourne pas la tête, je suis très nerveux"
Alors moi et les autres délégués qui étaient là, on est sortis. Les élections ont eu lieu, mais cétait un paradoxe... On nimagine pas cela au Canada, cela ne se passerait jamais ainsi.
En fait, il y avait eu une décision du Ministère de lIntérieur qui, à la dernière minute, avait annulé la présence des délégués. Cétait paru dans le Diário de Notícias un journal portugais qui existe encore. Le communiqué du Ministère disait que les gens porteurs de nimporte quel "credencial" ne pouvaient pas être présents, cétait complètement défendu et cette "credencial" ne valait rien. Pourtant, à certains endroits au Portugal, des villages et des petites villes, ce communiqué du journal navait pas été connu par le président de table de lacte électoral. Humberto Delgado, à certains endroits, il a gagné les élections avec un pourcentage entre 80%, 85% et 75%. Ailleurs, il avait perdu avec juste 15% de votes parce que là, lacte électoral avait été supervisé.
Comme je lai dit, en 1958, javais un atelier débéniste à mon nom et javais ma vie organisée. Je navais aucune intention de venir au Canada. Je ne connaissais pas le pays. Pourtant jai pris la décision démigrer, car jai été obligé de partir cette année-là. Il y a eu une poursuite après les élections. La police politique cherchait partout les gens qui avaient aidé Humberto Delgado. Alors, beaucoup de personnes de mes relations ont été arrêtées. Moi, évidemment, jétais dans la ligne de larrestation.
Heureusement, en 1957, mon beau-frère qui était aussi ébéniste était allé au Canada, parce que ce pays faisait un appel à limmigration. Il mavait demandé mon opinion et je lui avait dit:
- "Écoute, ici ça vaut rien, cest un pays qui na pas davenir. Vas-y. Va au Canada Cest un pays qui a du profit, des conditions de vie. Vas-y, nhésite pas."
Alors je suis allé avec lui. Pour laider à remplir son "application" Portugal-Canada. Lui, cétait une personne un peu timide et cest pour ça que je lai aidé un peu de ce côté-là. Alors il a fait son "application" et une personne très sympathique qui était à lambassade du Canada, a insisté pour que je fasse aussi une "application". Moi je disais:
- "Je nai aucune intention daller au Canada."
Mais jen ai quand même fait une. Curiosité de la vie, cette "application" que jai faite sans avoir aucune intention de venir au Canada sest présentée bien utile lannée suivante. Parce que je me suis senti poursuivi par le Portugal. Alors là jai profité de lopportunité de venir au Canada comme émigrant.
“Comme quelquun qui arrive au Paradis”
Avant de venir au Canada jai eu bien des difficultés pour avoir mon passeport, parce quil fallait avoir lautorisation du Ministère de lIntérieur au Portugal, et le Ministère de lIntérieur était lié avec la Police Politique. Probablement il y avait quelques doutes à mon sujet. Mais il ny avait aucune preuve contre moi. Je navais fait aucun crime, aucun abus. Simplement, jétais un partisan du candidat Géneral Humberto Delgado, cétait tout mon crime. Mon passeport a été refusé à trois reprises. Et sans passeport, je ne pouvais pas avoir le visa de lambassade. Le voyage était déjà payé par le Canadien Pacifique qui nexiste plus aujourdhui. Jai été obligé de retarder mon voyage à trois reprises. Finalement, avec laide dun ami qui avait des connaissances dans le gouvernement de Salazar, je suis arrivé à avoir mon passeport. Le même jour, le 10 décembre 1959, lambassade du Canada ma donné mon visa et je suis tout de suite allé à la compagnie daviation Canadien Pacifique, pour prendre mon billet. À 9h du soir, moi et ma femme nous avons pris lavion pour le Canada. Nous sommes arrivés le 11 décembre.
Pendant ce premier voyage en avion, je me suis senti merveilleusement bien, comme quelquun qui arrive au Paradis. Au Canada, lavion était obligé darrêter à Gander, parce que ce nétait pas des avions comme maintenant, à réaction. Cétait des avions à hélices, des ventilateurs comme nous les appelons aujourdhui. Lavion avait été obligé de sarrêter pour prendre du carburant, parce que nous avions pris une tempête dans la traversée de lAtlantique. Quand jai vu la neige, la forêt en face et un monsieur qui montait sur laile de lavion avec des grandes bottes, je me suis dit:
- "Où est-ce que je suis arrivé?"
"La Maison des Portugais"
Le premier mois de lannée 60, jai été à lorigine dune organisation portugaise qui voulait réunir des gens qui se promenaient ici, au coin des rues et dans certaines épiceries portugaises pour passer le temps. Nous avions lintention de faire une sorte de club, une organisation pour aider à lintégration des immigrants qui arrivaient au Canada et qui ne savaient même pas comment louer une chambre. Cette organisation sappelait "La Maison des Portugais" à Montréal. Cétait sur la Rue Saint-Denis, entre lAvenue des Pins et la Rue Roy. Je pense quil y avait là une ancienne compagnie dopérette. C’était une organisation sérieuse avec sa charte faite par un avocat, pour rester dans le légal. On a créé les statuts nous-mêmes. Cétait traduit en français et en anglais. Jai participé à la rédaction dun paragraphe qui ma passionné. Ce paragraphe disait de promouvoir et intégrer le Portugais qui arrivait dans le goût de la démocratie et pour la liberté quil trouvait ici au Canada et quil navait pas connue dans son pays dorigine. On voulait expliquer aux Portugais les droits quils pouvaient avoir au Canada, un pays vraiment libre et démocratique.
"La Maison des Portugais" à Montréal a eu beaucoup de problèmes. Elle a été accusée de communiste par les gens dici, par lélite de droite, la droite portugaise qui avait des journaux. Nous étions accusés de communistes parce quon dénonçait la politique de Salazar. Fin janvier 1961, il y a eu une manifestation face au Consulat portugais parce que, dans lAtlantique, un bateau portugais de passager avait été détourné. Cétait le Santa Maria qui faisait la navette entre Portugal et Brésil. Alors les journaux et la TV à Montréal se demandaient comment cétait possible quil y ait de la piraterie en plein XXe siècle. Évidemment ce nétait pas un acte de piraterie. Cétait un mouvement portugais qui avait fait ce coup-là avec lobjectif dattirer lattention du monde entier sur a Dictature qui existait au Portugal parce que la plupart ne savait pas. Il y avait beaucoup de gens de lélite à accepter Salazar, il y avait des sympathies. Le monde a accepté ça. Encore aujourdhui ils acceptent ça En démocratie il faut tout accepter, avoir la liberté dexpression et de pensée. À moi et à dautres amis, cela nous a créé des problèmes.
Un jour, dans un journal que je ne veux pas citer - ça ne vaut pas la peine - il y avait un article non signé qui nous a menacés dêtre déportés du Canada par la gendarmerie Royale. Le journal en question disait que, au Canada, il y avait des gens à problèmes parmi les séparatistes québécois de lépoque de René Lévesque (jétais dans son parti) et quon ne pouvait pas se permettre davoir des agitateurs communistes portugais venus au Canada. Je me rappelle encore du texte du journal qui disait:
- "Des communistes portugais sont venus au Canada pour faire leur vie pacifiquement et ils viennent encore créer la perturbation et lagitation..."
Avant que la gendarmerie Royale nous appelle, nous nous sommes présentés là, nous-mêmes. Nous sommes allés là, sur la Rue Sainte-Catherine, avec notre documentation, la charte de notre organisation et cest moi qui ai parlé au monsieur, un supérieur qui était là. Nous nous sommes bien entendus, il nous a bien reçus, avec sympathie. Il nous a écoutés attentivement et, au bout, il ma demandé si javais reçu mon livre, un petit livre quon nous avait donné à laéroport quand nous sommes arrivés ici. Je connaissais ce livre-là par cœur et jai dit:
- "oui, je connais la source."
Il ma dit que je pouvais avoir lopinion politique que je voulais, que jétais dans un pays libre, démocratique et que je pouvais avoir nimporte quelle opinion politique, communiste ou pas, dans la légalité, de pleins droits.
Jai donc eu des problèmes avec les Portugais de droite. On connaissait le nom de ces gens-là. Mais quand-même jai toujours été la même personne. "La Maison des Portugais" à Montréal a duré 12 ans.
“J’ai participé à bien des manifestations”
Au bout de 12 ans, beaucoup damis sont partis à New York, aux États-Unis, et moi je suis resté tout seul et avec un autre. Nous avons créé le Mouvement Démocratique Portugais à Montréal. Ce mouvement avait un nom politique. Il nexiste plus depuis 3 ans, je pense. Le Mouvement Démocratique a eu beaucoup dactivités. Ils ont même supporté le gouvernement canadien, pour les syndicats et notre fête du 25 avril, une fête nationale de la libération du peuple portugais de la dictature de Salazar.
Jai participé à bien des manifestations. Jai déjà parlé de celle à cause du "Santa-Maria". Il y en a eu une autre lors de la tentative de révolution le 1er janvier de 1961. Cest une tentative dassaut à une caserne qui a échoué. Nous étions là de nouveau face au Consulat portugais, à dénoncer la dictature etc. Après, ça a été la Révolution des Œillets du 25 avril 1974.
“La démocratie au Portugal na pas la même envergure quau Canada”
Aujourdhui, on peut dire que la démocratie existe au Portugal, mais elle nest pas encore bien implantée. Lesprit démocratique nexiste pas encore, mais nous avons fait les premiers pas. On peut dire que la démocratie au Portugal na pas la même envergure quau Canada. Parce qu’au Canada, la démocratie est très ancienne. Le Canada a une démocratie qui est un exemple au niveau mondial. Cest une démocratie des plus supérieures au monde. Cette démocratie et le gouvernement canadien méritent tout notre respect. Cest un grand apport de la société québécoise aux Portugais. Ils leur ont donné la chance de pouvoir circuler librement. Depuis 1966, je suis citoyen canadien et jen suis très fier.
Les Portugais qui ont vécu la période de la dictature nont pas lhabitude de la politique. Au Canada, peu de Portugais participent à la politique. Les Portugais, en réalité, ne sintéressent pas tellement à la politique dindépendance du Québec. Pendant le gouvernement de monsieur René Lévesque, les gens voulaient lindépendance du Québec, cest une position quil faut accepter. La culture française, il faut quelle soit respectée au Québec. Cest mon opinion. Concernant lindépendance, je vacille un peu parce que le Québec peut être un pays indépendant avec sa participation au gouvernement central d’Ottawa, comme Trudeau avait proposé. Il pourrait y avoir une plus grande participation des Québécois au gouvernement d’Ottawa. Ça serait un droit collectif. Moi je crois quun Québec indépendant risque dêtre fragile, parce que diviser cest affaiblir. Le Québec serait une proie facile des Américains, cest mon souci.
Nous avons eu un problème bien difficile: la position que le gouvernement canadien a prise face aux Américains concernant la guerre en Irak. Cest la position démocratique dun pays qui a sa dignité et qui veut faire respecter sa souveraineté. Le Canada est un ami des Américains mais il ne peut pas participer à la folie de ce pays. Le premier Ministre a dit quil allait suivre le Conseil de Sécurité des Nations Unis, mais il a dit non à la guerre unilatérale des Américains. La question des bombes, des armes de destruction massive, cest une chose qui préoccupait tout le monde. Mais les Américains possèdent des armes de destruction massive et, en fin de compte, en Irak, il ny en avait pas. Cest tellement drôle comme situation… Cest un peu compliqué Les Américains voulaient aussi changer le gouvernement. Monsieur Jean Chrétien a dit:
- "Nous ne pouvons pas participer à une guerre pour éliminer un système politique qui existe. Cest le pays lui-même qui doit décider de le faire."
Parcours Professionnel
“Je me suis passionné pour les meubles québécois”
Professionnellement, au Portugal, jétais ébéniste, javais mon propre atelier, je faisais des meubles anciens.
Quand je suis arrivé au Canada, jai trouvé facilement. Je suis arrivé un samedi et le lundi suivant, ça veut dire deux jours après, je suis allé travailler aux côtés de mon beau-frère, parce qu’il, était ébéniste comme moi.
Ensuite je suis allé travailler dans une compagnie qui faisait des meubles modernes scandinaves. Elle sappelait "Aka Furnitures". Cétait dans Ville-Émard, dans lest, du côté de Verdun, à Montréal. Ce nétait pas bien mon goût, mais quand-même, ils mont payé un salaire de 1,25 dollars à lheure. Au début, tout le monde recevait plus ou moins ça. Deux mois après, ils mont augmenté à 1,50 dollars à lheure. Ça cétait déjà un salaire considéré acceptable. Les meubles scandinaves cest la ligne droite. Je faisais des secrétaires, du mobilier de bureau. Ce nétait pas vraiment mon domaine. Cest juste à un moment dans ma vie que jai fait des meubles qui nétaient pas bien ma spécialité. Moi ce que jaime faire, cest les meubles Louis XV, Louis XVI.
Jai toujours vécu au Québec. Jai eu une proposition pour travailler à Toronto, à Miami et à New York chez un monsieur ébéniste qui travaillait pour Madame Kennedy. Cétait un poste intéressant... Mais jamais je nai eu lintention de men aller. Avec de bonnes conditions, une bonne vie, le salaire, etc. Jai aussi travaillé comme dessinateur de meubles dans plusieurs compagnies ici, au Canada. Jai travaillé par exemple à "Ro-EL Fournitures à Chomedey et mon travail cétait de créer de nouveaux modèles pour la compagnie qui faisait des meubles en séries. Cest une compagnie qui sest spécialisée dans le "fresh" provincial, le Louis XV rustique, comme on dit.
Je me sens bien au Québec, lidentité québécoise ressemble beaucoup à la portugaise. Je me suis fait de bons amis. Un monsieur bien connu ici au Québec, monsieur Jean Lacasse, antiquaire sur lAvenue Van Horne, est un ami de longue date. Jai connu aussi monsieur Jean Palardy qui a écrit un livre connu sur le mobilier québécois: “Les Meubles anciens du Canada français”. Ce monsieur Jean Palardy a été décoré par le gouvernement canadien. Il ma appelé pour faire les meubles de la Forteresse de Louisbourg, en Nouvelle Écosse. À lépoque, le gouvernement de monsieur Trudeau avait lintention de faire reproduire des meubles québécois pour les mettre dans la forteresse. Jean Palardy a dit: "Je connais un Portugais qui est capable de faire ces meubles-là". À la surprise de beaucoup de monde, les journaux canadiens ont parlé de ça. Jai encore un magazine "Chez Soi" qui parle de cette affaire. On trouvait drôle quun Portugais, qui a une culture européenne portugaise, interprète les meubles québécois. Moi, je me suis passionné pour les meubles québécois. Après tout, cest des meubles français, ce nest quune reproduction de lépoque Louis XIII, Louis XIV, Louis XV, cest-à-dire lépoque des premiers colombes qui sont arrivés ici au Canada. Monsieur Jean Palardy explique bien ça dans son livre. Donc jai fait beaucoup de restauration de meubles pour ce monsieur Jean Palardy qui avait chez lui une collection de meubles français anciens, dorigine québécoise qui coûtaient une fortune incroyable. Il savait bien ce que je valais. Il a même écrit pour moi une lettre de recommandation. Je la garde encore précieusement.
Migration
“Les Portugais sont des bâtisseurs”
Quand je suis arrivé au Canada, je suis allé chez mon beau-frère qui habitait rue Hôtel-de-Ville, proche de Ontario. Le propriétaire de la maison ma loué une chambre. Il louait beaucoup de chambres pour les Portugais qui étaient de passage. Mais je suis resté là pendant deux mois. Début juillet, au moment des déménagements. Jai changé la chambre pour lappartement en bas. Je suis resté là trois, quatre ans. Après ça, jai déménagé rue des Erables, au centre, à Rachel. Jai beaucoup déménagé. Maintenant je suis dans le Nouveau Rosemont, entre Langelier et Rosemont. Jai fait des changements de fond en comble dans les maisons que jai occupées dans ma vie: la cuisine, lintérieur, les murs... Les Portugais sont des bâtisseurs.
Au commencement, les Portugais habitaient au centre ville: Saint Laurent, Rachel, etc. Mais plus tard ils sont partis en dehors de la ville pour avoir leur propre maison.
"Je me sens un peu étranger lorsque je retourne"
Après le 25 avril, jai décidé de retourner au Portugal pour finir là mes dernières années. Comme jétais enthousiasmé par la Révolution, je voulais partir tout de suite, mais javais des affaires, je travaillais déjà à mon compte. Javais une petite ébénisterie de meubles antiques québécois. Je ne pouvais pas partir du jour au lendemain, javais des engagements. Mais, en 1982, aussitôt quil y a eu une chance, je suis parti. Je suis resté au Portugal 12 ans. Jai été obligé de passer un nouveau permis de conduire, parce que jétais resté au Canada plus de trois ans.
Au bout de quelques années je me suis souvenu du Canada et jai décidé de retourner au Québec. Je suis retourné en 1994 et je suis là depuis sept ans. Je suis très fier dêtre ici. Mon pays dorigine, je laime bien, je connais bien la culture portugaise et lhistoire du Portugal. Mais le Québec a quelque chose... Jaime le Québec. Il y a des choses merveilleuses au Québec. Comme par exemple les Iles-de-la-Madeleine...
Maintenant je vais moins au Portugal parce que le voyage commence à me peser. À un moment donné, jallais là-bas pratiquement tous les ans. Je me sens un peu étranger lorsque je retourne parce que le Portugal a beaucoup changé. Même sil y a encore beaucoup de difficultés là-bas, ils sont plus indépendants. Mais quand quelquun qui a une bonne situation économique au Canada arrive au Portugal pour montrer une certaine arrogance, évidemment il est mal vu. Là, ici, et dans nimporte quelle partie au monde. Je pense quune chose très importante dans la vie cest dêtre humble, sensible, simple. Cest pas plus compliqué que ça.
Histoire
“Nous avons découvert les chemins maritimes du monde entier”
Jadore la culture de mon pays. Je suis dorigine portugaise et je connais bien lhistoire du Portugal. Nous sommes un petit pays et nous avons une histoire merveilleuse. Nous avons découvert les chemins maritimes du monde entier. En 1500, les Portugais ont fait des choses aussi incroyables que les Américains qui vont aujourdhui sur la Lune, sur Mars et partout. A lépoque il y avait à peine 2 millions dhabitants, sur le continent et environ 1 million partout dans le monde: nous étions au Japon, en Chine, en Inde, en Indonésie, au Canada… Corte Real est le premier qui est arrivé ici à Terre Neuve. Après, les Portugais des Açores qui venaient à la chasse à la Baleine se sont répandus sur toute la côte canadienne. Aujourdhui il y a des noms de Portugais un peu partout sur la côte Est du Canada.
“La conséquence négative des explorations, cest le colonialisme en Afrique”
La conséquence négative des explorations, cest le colonialisme en Afrique. À cette époque il y a eu un peu partout le colonialisme dans le monde. En Afrique, en Angleterre, au Portugal et dans les grands pays. Le Canada était aussi une colonie des Anglais. Mais je suis contre toute sorte de colonialisme. La libération de ces gens-là, cest la moindre des choses. Les gens ont droit à la liberté, à leur détermination et à leur capacité de participation à la vie, au niveau mondial. Malheureusement il y a eu des guerres qui ont dévasté tout lAngola. Surtout lAngola cétait les martyres, la guerre sest prolongée pendant 14 ans. Une chose épouvantable. Cest à cause de lentrée des autres pays que ça sest tant prolongé.
Aujourdhui les colonies sont libres. Les ex-colonies portugaises sont des pays libres et démocratiques. Ils font leur vie comme les autres pays. Je suis fier de cette liberté. Évidemment quau Portugal il y a eu beaucoup de problèmes. Justement au commencement de la Révolution du 25 avril 1974, Portugal du jour au lendemain a vu revenir un million dex-Portugais qui habitaient dans ces colonies-là. On les appelait les "retornados". Cétait une situation dramatique que le gouvernement de lépoque a eu la capacité de régler.
Imaginez ce qui se serait passé au Canada qui est pourtant un pays riche avec des ressources incroyables, si du jour au lendemain il y avait le retour dun million de Canadiens, comme au Portugal. Ce sont des situations bien difficiles à régler. Pourtant les Portugais ont logé ces gens-là dans des hôtels ou dune autre façon. Aujourdhui ils sont intégrés dans la communauté portugaise continentale et ce sont des gens qui participent à léconomie du pays, parce quils ont travaillé toute leur vie. Il y avait des agriculteurs, des médecins... À Montréal il y en a eu quelques-uns et ils se sont intégrés avec succès.
“José Saramago, un ami à moi”
Les Portugais ont une culture de grands écrivains. Nous avons maintenant un écrivain qui est Prix Nobel de la littérature. Cest José Saramago, un ami à moi. Jai un livre chez moi avec sa dédicace. Jai pratiquement tous les livres quil a publiés. Jai connu José Saramago pendant les 12 ans que jétais au Portugal. Jai parlé avec lui plusieurs fois. Cest un homme fantastique, un homme dynamique, avec une culture très profonde. Quand on lit un livre de cet écrivain, on pense que cest un homme qui aime le sarcasme car il joue beaucoup avec les injustices de lactualité. Cest comme un fouet fort qui frappe dans le dos de beaucoup de monde.
Nous avons aussi un autre prix Nobel: Egas Moniz, un médecin neurologiste qui avait une vaste culture. Cet homme a inventé la leucotomie, cest-à-dire lopération au cerveau. Cétait une découverte très importante pour cette époque, en 1949.
Au Portugal, il y a aussi beaucoup de musiciens comme par exemple Amália Rogrigues, Carlos do Carmo ou Mariza qui fait des spectacles partout dans le monde. Il y a aussi le groupe Madre Deus qui a fait le tour du monde. Je les trouve fantastiques. La chanteuse a une voix super et ce sont de bons musiciens.
Nous sommes un petit pays mais nous avons des gens de grandes capacités, mais ils ne sont pas tellement connus. Lépoque de Salazar nous a isolés du monde. La plupart des talents portugais ont émigré. Maintenant on commence à nouveau à rattraper ce retard-là. Aujourdhui nous sommes déjà partout dans le monde. Nous sommes reconnus comme des gens de valeur.
“Il est nécessaire de garder toujours notre culture, même si elle sintègre au Québec et au Canada”
Il ny a pas de problèmes par rapport à lintégration de la communauté portugaise ici au Québec. Cette intégration est bien réussie, je ne sais pas exactement les chiffres mais je peux considérer que cest positif, même au niveau économique. Il y a beaucoup de Portugais qui, aujourdhui, sont des personnes bien établies économiquement, propriétaires de magasins, dans lagriculture, dans tous les endroits. Dans la politique, nous sommes un peu en retard, mais ils ont déjà un juge portugais qui est très bon, des avocats et des notaires. Notre Caisse de léconomie des portugais (Caixa de Economia dos Portugueses de Montreal) est un exemple de ce que les Portugais peuvent faire dans la société québécoise. Aujourdhui nous avons des professeurs à lUniversité de Montréal, à lUniversité McGill. Ils sont un peu partout dans la culture canadienne, québécoise. Et ils sont bien intégrés.
Il y a beaucoup de familles où les enfants ne parlent pas portugais. Ils parlent en français et la plupart en anglais. Les langues de travail sont soit l’anglais ou le français. Les jeunes sintéressent à ces langues car ils les trouvent plus utiles, tandis que le portugais ça ne leur dit rien.
Toutefois, au Canada il y a des écoles de portugais. Chaque semaine, le samedi, il y a des professeurs qui enseignent le portugais. Il y a même un proverbe qui dit:
- "On ne perd rien de savoir quelque chose de plus."
La communauté portugaise va sintégrer de plus en plus dans la communauté québécoise et canadienne en général, mais je pense quil est nécessaire de garder toujours notre culture, même si elle sintègre au Québec et au Canada.
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