P - Bonjour. Alors, sil te plaît, tu me dis ton nom complet, le lieu et la date de naissance. R - Je suis Sidiki Abdoul Daff, je suis né le 26 juin 1955 à Kanel, qui se trouve au nord du Sénégal. Jhabite à Guédiawaye, qui est une banlieue de Dakar. P - Et là tu travailles avec une organisation, cest quelle organisation et quel est ton rôle dans lorganisation? R - Moi, je suis le coordinateur du Cerpac, qui veut dire le Centre de Recherche Populaire pour lAction Citoyenne, qui est en fait un réseau dorganisation dhabitants qui cherche un système de capacitation et aussi un système de mise en réseau, à renforcer la parole des habitants, à les aider à construire leurs propres paroles pour faire face aux défis du quotidien, particulièrement aux défis du monde urbain, très complexe au Sénégal. P - Peut-être tu peux nous donner plus de détails sur les questions urbaines au Sénégal, à Guédiawaye et comme on, les actions quon a mené là-dessus? R - En fait, Guédiawaye est une zone très particulière, parce que c’est une zone qui est issue des expulsions des années 70. La population de Guédiawaye a été installée dans les années 70 au centre de la ville de Dakar. LÉtat sénégalais, en rapport avec lémergence dune nouvelle classe petite-bourgeoise, notamment dune élite politique, a estimé nécessaire de déplacer les populations les plus pauvres vers la banlieue de Dakar. Guédiawaye est née en ce mouvement-là. Mais parallèlement à ce mouvement aussi, les années 70 ont correspondu à des années où en fait il y a eu une fort sécheresse au Sénégal. Les paysans, en quête de meilleures conditions de vie, sont déplacés vers Dakar et beaucoup de paysans sont installés dans Guédiawaye. Du coup on a, à ce niveau-là, une transposition de deux types de mode de vie: un mode de vie rural, qui sest incrusté dans un mode de vie urbain. Particulièrement à...
Continuar leituraP - Bonjour. Alors, sil te plaît, tu me dis ton nom complet, le lieu et la date de naissance. R - Je suis Sidiki Abdoul Daff, je suis né le 26 juin 1955 à Kanel, qui se trouve au nord du Sénégal. Jhabite à Guédiawaye, qui est une banlieue de Dakar. P - Et là tu travailles avec une organisation, cest quelle organisation et quel est ton rôle dans lorganisation? R - Moi, je suis le coordinateur du Cerpac, qui veut dire le Centre de Recherche Populaire pour lAction Citoyenne, qui est en fait un réseau dorganisation dhabitants qui cherche un système de capacitation et aussi un système de mise en réseau, à renforcer la parole des habitants, à les aider à construire leurs propres paroles pour faire face aux défis du quotidien, particulièrement aux défis du monde urbain, très complexe au Sénégal. P - Peut-être tu peux nous donner plus de détails sur les questions urbaines au Sénégal, à Guédiawaye et comme on, les actions quon a mené là-dessus? R - En fait, Guédiawaye est une zone très particulière, parce que c’est une zone qui est issue des expulsions des années 70. La population de Guédiawaye a été installée dans les années 70 au centre de la ville de Dakar. LÉtat sénégalais, en rapport avec lémergence dune nouvelle classe petite-bourgeoise, notamment dune élite politique, a estimé nécessaire de déplacer les populations les plus pauvres vers la banlieue de Dakar. Guédiawaye est née en ce mouvement-là. Mais parallèlement à ce mouvement aussi, les années 70 ont correspondu à des années où en fait il y a eu une fort sécheresse au Sénégal. Les paysans, en quête de meilleures conditions de vie, sont déplacés vers Dakar et beaucoup de paysans sont installés dans Guédiawaye. Du coup on a, à ce niveau-là, une transposition de deux types de mode de vie: un mode de vie rural, qui sest incrusté dans un mode de vie urbain. Particulièrement à Guédiawaye on est, en fait, à une zone péri-urbain. Et un des constats quon a faits, Guédiawaye est une zone très mal aboutie en termes déquipements et dinfra-structure de base. Peu décoles, peu de dispensaires, laccès à leau potable était extrêmement difficile, mais malgré tout cela, ces problèmes, les populations ont essayé de sorganiser pour répondre à ces difficultés sans faire appel à lÉtat. Elles sont organisées pour construire leurs propres écoles, elles sont organisées pour construire leurs propres dispensaires, elles sont organisées pour aménager la ville, sans aucune intervention de lÉtat. Et nous nous sommes dits, moi et quelques amis militants associatifs, que les populations ont une capacité à créer des alternatives. Du coup, on a crée le Cerpac, qui sappuye sur la capacité des populations à créer des alternatives pour les transformer, en effet, une alternative consciente des réponses populaires par rapport à la crise de la ville au Sénégal. Voilà fondamentalement un des rôles que le Cerpac joue dans ces dimensions-là. Et ça nous le jouons en mettant en place un certain nombre de moyens. Nous sommes convaincus dune chose: cest en se mettant en réseau que les populations parviendront ensembles à construire des objectifs cohérents. Le Cerpac offre un espace de mise en réseau. À léchelle locale. Mais aussi nous sommes convaincus dune chose: les solutions à la crise urbaine au Sénégal sont aussi mondiales. Et aussi les réponses, elles sont mondiales, parce quailleurs dans les pays du monde les populations répondent à la crise en concevant du nouveau. Souvent je dis à nos amis sénégalais: "Il est bien que vous avez la réponse locale, mais aussi articulons-le avec les réponses internationales". Parce quen fait la crise des villes africaines est fondamentalement liée à la crise du système économique, parce que autant cette économie sest mondialisée, autant la misère sest mondialisée, autant en créant une connexion avec des mouvements internationaux, on peut apporter une réponse internationale qui aura un impacte certain sur la crise locale. Et souvent au Cerpac nous visualisons des expériences qui viennent dailleurs. Il nous est arrivé parfois de montrer comment les amis Mexicains ou Brésiliens répondent à la crise du logement par lauto-construction populaire. Il nous est arrivé parfois de montrer comment ailleurs dans le monde des populations à travers des budgets participatifs participent à chaude de la chose publique, participent au contrôle de la chose publique. Cest un mouvement permanent déchange dexpériences internes et externes qui, en fait, est à lorigine du Cerpac. Mais, aujourdhui, nous allons organiser avec lAlliance Internationale des Habitants et dautres mouvements sociaux lAssemblée Mondiale des Habitants. Pour nous cette Assemblée Mondiale des Habitants nest pas un fait en soi. Elle nest quune étape dans un long processus pour construire une parole mondiale des habitants intelligible, cela fondamentalement. Parce que la crise mondiale demande quon a des réponses locales, mais aussi des réponses à léchelle mondiale. Le marché sest mondialisé, le capital sest mondialisé, les démarches sont mondialisées. Les réponses des mouvements sociaux doivent être des réponses à la hauteur avec des réponses qui sont mondiales. Car nous disons, construire la parole des habitants, cest mettre en place des instruments qui le permettent. Parce que moi, je suis convaincu dune chose: je ne crois pas à une démocratie que ne fût née que de ces instruments. Parce que tous les acteurs nont pas les mêmes modes dexpression. Autant certains peuvent sexprimer par lécrit, autant dautres peuvent le faire par loral, autant dautres peuvent le faire par limage. On doit trouver des palettes doutils pour avoir une réponse mondiale des habitants. Ça veut dire aussi avoir un mode de pensée très ouvert, ne pas avoir des catégories. LAssemblée Mondiale des Habitants ne doit pas être une assemblée des techniciens, cest des partenaires, elle est fondamentalement l’assemblée des mouvements sociaux urbains de base. Et là il ne faut absolument avoir des instruments pour construire les paroles. Ça veut dire que cest aussi accepter de comprendre limaginaire. Limaginaire dun intellectuel sénégalais occidentalisé nest pas la même que celle dun mi-lettré associatif de banlieue. On devra coupler ces imaginaires-là pour arriver à construire ces paroles citoyennes internationales. P - Sidiki, quest-ce que ta amené, au début, à timpliquer dans ce type de lutte de travail de construction sociale de lhabitat? R - Jai comme une histoire assez, assez complexe. Je suis issu dune famille dorigine rurale. Mes parents viennent du nord du Sénégal. Mon père est un autodidacte. Très jeune il sest installé à Dakar. Il a eu un travail dans une librairie, en tant que garçon de course. Mais à force de conviction il a amélioré son niveau intellectuel, il a étudié, il a lu à travers les livres et finalement il est devenu gérant de la librairie. De garçon de course, il passe à gérer la librairie. Et aussi mon père a tenu à maintenir une double éducation, à avoir une éducation urbaine et aussi à avoir un pied dans le monde rural. Notre maison était une maison qui recevait tous nos cousins qui venaient des villages. Ils venaient à Dakar pour travailler, pour faire, pout être des cireurs, faire des petits commerces et mon père a tenu a ce quon habite dans le même espace dans les mêmes chambres. On sest dit: "Moi, je suis intellectuel, je suis urbain, lui, il est rural, donc, je suis supérieur". Mon père sest battu pour quon nait pas ce type de sensationnalisme. Il nous a mis en rapport avec ces nous cousins ruraux qui faisaient des petits métiers. Il avait sacré en moi de manière inconsciente vraiment un sentiment douverture vis-à-vis au monde. Je men rappelle, cest à lâge de 12 ans que jai commencé à organiser des cours dalphabétisation chez moi pour mes cousins qui étaient des ruraux. Et après, ça continue. Jai crée avec des amis à lâge de 15 ans une association de village, parce que dans les années 70, il y avait une tendance: les jeunes élèves avaient leurs propres groupes délèves. Les autres qui nétaient pas élèves étaient mis en marche. Nous, on a des groupes, moi et mon frère: "Écoutez, le groupe délèves ne nous intéresse pas, ce qui nous intéresse, en reste, cest le groupe des gens qui ne savent pas lire, des petits paysans qui ne savent pas lire". En fait, dès là on a continué à travailler avec eux, à organiser des séances de formation, dalphabétisation, peut-être à évoluer, on a réussi même à créer des associations, on a parvenu à faire du théâtre éducatif, du théâtre populaire, on a continué à faire des investissements immenses, à faire des discussions sur les conditions terrains des villages. Cest en fait tout ça qui ma amené vers les réseaux des habitants. Parce quen fait il y avait un moment où je me suis demandé: "Attend, mais Sidiki, quest-ce qui se passe?" En réalité, depuis lâge de 15 ans, tout mon combat a été le combat pour que les habitants, pour que les pauvres aient accès à la parole. Vraiment, ça a été une permanence dans mon activité. Mais ça en tout cas, je men suis rendu compte ultérieurement. Et du coup bon, cest cela en fait qui ma amené au Cerpac, étant dans un milieu urbain, étant dans une péri-urbaine, cest à dire, mi-rurale, mi-urbaine. Louverture au plan international ma permis davoir des contactes avec beaucoup de camarades qui ont plein dexpérience. Comme moi jai recueilli avec dautres qui étaient avec moi, quon a essayé de réinvestir dans dautres pays à fin de faire avancer les mouvements sociaux au Sénégal. Voilà un peu mon cursus en termes dhistoire. P - Et comment on est arrivé à constituer Cerpac? Qui participe, comment on lorganise? R - Cerpac est un réseau qui a en fait une centaine de militants. On souvent travaille sur des thématiques très particulières et le gens qui travaillent avec nous ne sont pas forcement du Cerpac. On fait converger les associations, dans un espace, nous avons travaillé beaucoup à lespace. Et, on sest rendu compte là en Afrique, un des grands problèmes cest que les gens souvent discutent du contenant avant de discuter du contenu. Très souvent on dit: "Ouais, on crée une association, qui est président? Qui est secrétaire? Qui est trésorier?". Dès quon lai fait, cest en fait des conflits de chefs qui apparaissent. Notre expérience dans les milieux altermondialistes nous a énormément aidé. Effectivement, nous faisons converger lassociation vers lespace, sur les thématiques particulières, on discute. Mais nous navons pas de gros bailleurs de fonds. Souvent avec nous, nous autofinançons nos activités. On a eu la chance davoir des amis qui sont des constructeurs, mais quaussi sont des militants, qui sont dans les milieux sociales, parce que ça correspondait à leurs visions politiques. Cest à dire, redonner de la parole aux pauvres. Cest tout un programme. Parce queffectivement, si on changeait le monde, on redonne la parole aux pauvres. En fait, donc là, ces amis ont accepté, chaque foi quils on des travaux de concertation de donner 10% de leurs actions, de leur argent, pour le Cerpac. Parce quen fait nous ne voulons pas avoir des contraintes politiques dans les démarches. Et deuxièmement nous avons des convictions. Il y a des financements auxquels nous ne poussions pas par option politique. Cest à dire, en Afrique, il y a toutes les enveloppes financières dévolues par les bailleurs de fonds sur la lutte contre la pauvreté. Cest de largent de lUnion Européenne, de la Banque Mondiale ou du FMI, de lUsaid, qui crée des petits micro-projets pour lutter contre la pauvreté. Pour nous, ça ne sera pas en créant des petits micro-crédits, en créant des petits boulots sans perspective de lendemain, quon va lutter contre la pauvreté. Par ailleurs, au moment où il le font, au même moment, les mêmes bailleurs de fonds demandent à lÉtat de privatiser leau, ils le demandent de privatiser léducation, la santé, nous disons avec les militants anti-néolibérales: "On ne peut pas se mettre dans cette politique-là, dans ces financements-là, ça ne nous intéresse pas". Ça ne nous intéresse pas du tout, parce quon a vraiment en fait, dit que largent na pas dodeur; si, largent a une odeur, une odeur et une saveur, et il y a en fait des fonds de financement auxquels nous ne touchons pas. P - Et cest lequel ton apprentissage personnel à travers de cette expérience? Quest-ce que tu as appris à travers lexpérience avec Cerpac? R - Avec lexpérience ce que jai appris, cest une chose: cest un travail au quotidien. Un travail de remise en cause permanente. Cest à dire, par notre formation, par une manière dagir, pour un peu, on peut capturer la parole des habitants. Cest très facile. Du coup, en fait, on sest dit, en fait, cest en fait en nous mettant au sein des populations quon accomplit souvent à se rectifier, à interroger nos pratiques. Et surtout à éviter le slogan. Moi, jai horreur du slogan. Quand on dit quon veut faire ça, cest à dire, donner la parole aux habitants, on est dans le slogan. Mais quand on le dit, par exemple: "oui, je donne la parole aux habitants, voilà comment je vais les prendre et comment je vais le faire, voilà mes outils, voilà ma méthode, voilà mes instruments". Là on a fait de la construite durable. Un autre élément dhistoire cest quen fait les outils et la méthode doivent être en permanence confrontés à la réalité pour être améliorés. Cest en fait éviter de dogmatisme, méthodologique et de dogmatisme instrumental. Quatrième aspect, cest faire attention à la manipulation. On peut se convaincre avec des habitants, mais en ayant des démarches qui en réalité sont en fait des démarches manipulatrices. Souvent de manière devenue inconsciente. P - Est-ce que tu as des souvenirs des journées, des événements très marquants, très, disons, importants dans la vie de Cerpac, de ce quon a abouti même à faire? R - Absolument. Par exemple, ce qui nous a étonné un peu ce sont moins les actions que comme nous les faisions. Nous avions un objectif. On a fait une expérience sur le budget participatif, cest pour un peu créer une conscience citoyenne, un contrôle sur le budget de la municipalité et cela. Parce que ça aussi nous avons tenté à Guédiawaye en 2003. En fait, ce nétait pas un budget participatif, cétait vraiment, au moment, de créer un espace de communication entre la mairie et la population. Pour faciliter le dialogue, parce que quand même à lépoque la mairie et les populations étaient dans un conflit permanent, souvent un conflit qui peut-être était lié à la mauvaise administration du maire, cest vrai, mais aussi un tant de fois aussi par les incompréhensions. On travaille avec beaucoup de milieux associatifs: les associations de femmes, associations déducation etc etc. Notre objectif en fait était davoir une gestion transparente du budget public. Beaucoup de femmes avec lesquelles nous avons travaillé, qui étaient là dans lhistoire de micro-crédit et autres, par un style de prise de conscience, par un style damélioration de nos connaissances, sont devenues présidentes dassociations de parents délèves. Certaines dentre elles sont devenues présidentes de conseils dadministration de caisses de mutuel. Ça vraiment a été très agréable pour moi. En fait parfois tu fixes un objectif, mais souvent il faut faire attention aux effets induits. Si lobjectif que tu fixes, tu ne peux pas latteindre, tu peux avoir les effets induits. P - Et que démarches on a adopté chez Cerpac pour faire mémoire de ces luttes et aussi pour former les personnes à bien travailler ensembles? R - On a des méthodes et des outils qui sont conformes à la nature de notre milieu. Nous sommes dans une zone très peuplée. Guédiawaye, 500 mille habitants, peu près 80 kilomètres carrés. Ça a indiqué une forte pression démographique. Nous sommes dans un milieu où la pauvreté est la chose le mieux partagée. Où les gens sont souvent dans les secteurs informels, dans ce quon appelle les communes populaires. En fait, souvent les gens sont analphabètes. Et troisièmement, jappartiens à un pays qui a une forte culture orale. Au Sénégal, la parole, elle est dor. Souvent à loccident on dit: "Qui ne dit rien, consent". Chez nous, cest pas vrai. Ne rien dire peut correspondre à un refus. Il y a en fait un adage chez nous qui dit: "Si tu ne sais pas quoi dire, privilégie le silence". La parole, elle est très forte. Et nous avons un rapport à lécrit qui est un rapport très complexe. Nous avons eu accès à lécrit à travers le système coloniale. Pour lAfrique en général, lécrit, cest limpôt, cest la condamnation. Les gens ont un rapport très fié à lécrit. En Afrique, même un intellectuel académique, il parle mieux quil écrit. On est vraiment dans un réseau où en fait la parole est très forte. Du coup bon, on a fait un système de confiance à travers la parole. Un système dinstruments et de transcriptions. Mais ce qui est important, nous nous sommes dits que nous ne devons pas faire des habitants des objets de recherche. Nous devons en faire les acteurs de recherche, les habitants. Et souvent quand on a les interviews et quon transcrit, on les renvoie les paroles. Celui qui est constamment sur la pratique au quotidien sur le pragmatisme ce qui est construit au quotidien. En fait là, dautres qui ont transcrit ce quil dit peuvent lui lenvoyer et ce quil reçoit devient un espèce de connaissance, qui peut être réinjecté dans le futur. Ça cest un instrument. Actuellement, on est à un niveau expérimental sur la vidéo. Nous, on na pas beaucoup avancé. Et là aussi, moi je crois, avec un budget, on pourra peut-être avancer ultérieurement. P - Et vous avez quand même monté votre propre espace pour travailler les multimédias? R - Ouais. Effectivement, nous avons notre propre espace, nous avons crée un style de centre qui nous permet de travailler le son mais aussi de travailler avec des artistes. Comme on est dans un milieu oral, les idées peuvent sinsuffler par lécrit. Et aussi elles peuvent sinsuffler par loral à travers nos sons, aussi à travers la musique. Parce que la musique a le double davantages. Elle touche lesprit et le cœur. Et la compréhension peut être extrêmement rapide. Dans Cerpac, nous avons mis en place un réseau dartistes. On lappelle lespace culturel Alaa Innde. Alaa Innde est un terme pulaar [langue africaine] qui veut dire qui na pas de nom. Parce quen fait cest un espace qui rassemble beaucoup dartistes. Certains qui font la peinture et aussi des musiciens. On sest dit: "Notre espace ne peux pas avoir de nom. Parce que cest un espace ouvert". Et là l’espace culturel Alaa Innde. On a réussi, en travaillant avec des musiciens, à créer un CD audio qui sappelle Xon, qui veut dire arc-en-ciel, parce quen fait le CD audio reflète les multiples styles musicaux qui ont été utilisés. Qui vont du RAP au folk, à la musique traditionnelle sénégalaise et aussi à la capella. P - Est-ce que tu te rappelles une chanson de la musique qui est particulièrement appropriée pour parler, faire réfléchir sur la question de lhabitat? R - Je men rappelle, il y a un chant qui sappelle Fattàlikul, Rappelle-toi. "Rappelle-toi, cest quelquun qui a marché du matin au soir, jusquà épuiser ses talons, les talons de ses pieds. Rappelle-toi, cest quelquun qui a marché du matin au soir qui a reçu toute la brise maritime de Dakar. Rappelle toi, cest quelquun qui est mort de faim, sous les maisons, sous les hangars des casinos. Il est mort sans toit, il sera enterré dans un trou anonyme..." P - Cest un chant en Français ou en Wolof? R - Cest un Wolof. Cest en poème en Wolof. P - Ah Tu veux le dire un Wolof? R - Bon, je le dis. En Wolof, ça va être beaucoup plus difficile, parce quen fai, je men rappelle parce que cest moi qui la traduit. Cest en fait un poème qui pose à la fois la problématique de la misère dans le but des luttes urbaines et aussi la problématique des sans toit. Il y a aussi une question, il est mort sous le hangar de casino, où on joue de largent. Il sera enterré dans un trou anonyme, personne ne sen souviendra depuis. Cest vraiment un truc qui ma énormément marqué. Cest un poème qui est très fort. Et là, ce qui est intéressant, est que ce poème date des années 70. Moi, jy ai travaillé, avec ce poème. Cest en fait, dans les années 70, nous avons engagé un combat politique pour un renouveau de la culture sénégalaise. Le Sénégal était envahi par la culture occidentale. En un moment, on a agrée des militants politiques. On a dit, écoutez: "Si on veut libérer un peuple, on doit le réconcilier avec sa culture. Si on veut libérer un peuple, on doit promouvoir le droit duser sa langue". En ce moment, on a crée ce quon a appelé à lépoque le Front Culturel Sénégalais, qui est un front de militants culturels alternatifs, qui écrivaient en Wolof, qui écrivaient des poèmes aussi parfois en Français, et qui créaient des poèmes et des chants qui appelaient à la révolte, à la lutte et aussi à lorganisation. Il y a eu une rupture dans les années 90, il y a eu une crise. Il y a eu lémergence des rappeurs. Qui sont aussi des musiciens contestataires. On sinterroge là: "Pourquoi ne pas réussir ces milieux? Amener un texte montrant au jeunes rappeurs qui contestent aujourdhui quil y avaient dautres qui avons contesté hier". Voilà ce que nous, ce quon à fait à lépoque. P - Quel message tu as pour les autres organisations, les mouvements sociaux de lutte pour lhabitat? Ça sera bien de lajouter. R - Daccord. En fait, un des messages que jappelle à tous les mouvements sociaux urbains de lutte, je leur dit une chose: le champ de luttes est tellement vaste quun seul mouvement ne peux pas en rendre compte. Cest pour dire que tous les mouvements sociaux ont leur place dans le champ de lutte. Personne ne peut avoir, personne ne doit avoir, une hégémonie sur luttes urbaines. Moi, cest ça ma concession à lAssemblée Mondiale des Habitants. Nous irons avec ceux qui voudront aller avec nous. Ceux qui ne viendront pas avec nous ne sont pas nos ennemis. Ils sont sur dautres champs, on va se retrouver peut-être, cest dautres champs quon va partager ensembles. Lautre dimension, car nous disons: "nous voulons construire la parole des habitants", mettons en place les outils et la méthode adéquate pour la construire. LAssemblée Mondiale nest pas un fait en soi. Cest une étape dans un grand processus,qui sera permanent. Peut-être par étapes. Mais aussi, je dis aux amis qui ont beaucoup dexpérience, nous sommes primaires pour lexpérience. Et aussi je veux leur dire: il faut que les amis apprennent à sécouter. Nous sommes dans un monde multi-culturel. Les habitants appartiennent à lespace culturel, la maitrise de linterculturalité est un élément fondamentale pour comprendre lautre. Cest aussi la modestie de dire ce quon fait mais aussi de demander à lautre de dire ce quil fait. Voilà vraiment quelques rappels que je voudrais faire. P - Merci beaucoup.
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