Mathieu Ouellet
Enfant du printemps ; ma mère me donna le jour le 1er mars 1922. J’étais le cinquième d’une famille de six enfants. Ma cadette, Rita, est décédée trop jeune pour que je l’aie connue. J’ai donc grandi en étant le petit dernier, le bébé de la famille. Mon enfance fut très heureuse. Ma mère, Emma, était un ange. Tous les soirs, nous récitions la prière en famille et pendant le Carême, ma mère ajoutait le chapelet. Durant toute ma jeunesse, je n’ai jamais vu ma mère couchée, sauf bien entendu lorsqu’elle était alitée par la maladie. Au moment de me mettre au lit le soir, elle tricotait et le matin, elle venait me réveiller pour que j’aille m’occuper des vaches.
Ce fut une fête pour moi quand, à l’âge de 6 ans, j’entrai à l’école. Nous demeurions à environ un mille et demi de l’école. Comme le transport scolaire n’existait pas à cette époque et que le trajet se faisait à pied, il nous fallait apporter notre dîner. J’ai fréquenté l’école jusqu’à l’âge de 14 ans, soit en 5e année. La division des classes n’était pas comme aujourd’hui. D’ailleurs, bien d’autres choses n’étaient pas ce qu’elles sont aujourd’hui Nous n’avions pas de calculatrice, il fallait nous servir du crayon. Je me débrouillais assez bien en grammaire et dans les fractions. Ce que la maîtresse ne savait pas toutefois, elle ne pouvait nous l’enseigner. Par conséquent, je n’ai jamais entendu parler d’algèbre.
Dans les cours de religion, j’étais particulièrement bon. Quand venait le temps de faire notre première communion solennelle et notre confirmation, le curé nous enseignait pendant trois semaines avant la date prévue afin de vérifier nos connaissances. Curieusement, je n’ai jamais entendu dire qu’il avait refusé un élève Dans mon groupe cette année-là, nous étions soixante-dix enfants. La première journée, le curé nous aligna en avant selon notre grandeur...
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Enfant du printemps ; ma mère me donna le jour le 1er mars 1922. J’étais le cinquième d’une famille de six enfants. Ma cadette, Rita, est décédée trop jeune pour que je l’aie connue. J’ai donc grandi en étant le petit dernier, le bébé de la famille. Mon enfance fut très heureuse. Ma mère, Emma, était un ange. Tous les soirs, nous récitions la prière en famille et pendant le Carême, ma mère ajoutait le chapelet. Durant toute ma jeunesse, je n’ai jamais vu ma mère couchée, sauf bien entendu lorsqu’elle était alitée par la maladie. Au moment de me mettre au lit le soir, elle tricotait et le matin, elle venait me réveiller pour que j’aille m’occuper des vaches.
Ce fut une fête pour moi quand, à l’âge de 6 ans, j’entrai à l’école. Nous demeurions à environ un mille et demi de l’école. Comme le transport scolaire n’existait pas à cette époque et que le trajet se faisait à pied, il nous fallait apporter notre dîner. J’ai fréquenté l’école jusqu’à l’âge de 14 ans, soit en 5e année. La division des classes n’était pas comme aujourd’hui. D’ailleurs, bien d’autres choses n’étaient pas ce qu’elles sont aujourd’hui Nous n’avions pas de calculatrice, il fallait nous servir du crayon. Je me débrouillais assez bien en grammaire et dans les fractions. Ce que la maîtresse ne savait pas toutefois, elle ne pouvait nous l’enseigner. Par conséquent, je n’ai jamais entendu parler d’algèbre.
Dans les cours de religion, j’étais particulièrement bon. Quand venait le temps de faire notre première communion solennelle et notre confirmation, le curé nous enseignait pendant trois semaines avant la date prévue afin de vérifier nos connaissances. Curieusement, je n’ai jamais entendu dire qu’il avait refusé un élève Dans mon groupe cette année-là, nous étions soixante-dix enfants. La première journée, le curé nous aligna en avant selon notre grandeur physique pour nous interroger. Comme j’étais le plus petit, je me suis retrouvé bon dernier. Pourtant, lorsqu’il a abordé le catéchisme, ça n’a pris que deux jours pour que je prenne la tête et j’y suis demeuré jusqu’à la fin Ça a bien fait parler les mémères du village, que voulez-vous Dans un petit village de campagne, tout le monde se connaît et quand on est jeune, il ne faut pas faire d’erreur.
À l’âge de 14 ans, j’ai commencé à fumer. Je n’ai pas eu besoin de me cacher puisque personne ne s’y objectait. Ma mère faisait un grand jardin et nous récoltions notre tabac. Nous fumions tous la pipe. Je me demande aujourd’hui comment ma mère faisait pour endurer, après les repas, quatre pipes de tabac fort allumées en même temps
Le dimanche, la messe débutait à 9h et se terminait à 11h. Le curé offrait la communion à toutes les heures à partir de 7h le matin puisqu’il fallait, pour communier, être à jeun depuis minuit. À cette époque, très peu de gens avaient une automobile. Le dimanche, nous partions donc en voiture à cheval pour nous rendre à la messe. Il fallait se lever tôt ce jour-là
En 1938, mon père a cédé son bien à mon frère aîné, Omer. J’avais alors 18 ans. Jusqu’alors, je vivais heureux avec mes parents. À partir de là, tout a changé pour moi. Quelque temps après, mes parents ont déménagé au village pour prendre soin de ma grand-mère Joséphine Lévesque, mère de ma mère, vivant dans une maison de deux étages avec trois chambres à coucher au deuxième étage. Moi, je suis resté avec mon frère Omer pour l’aider comme membre de la famille. Peu de temps après, mon père a acheté une terre au 2e Rang de St-Simon pour mon frère Réal, terre avec une maison mais sans grange. Comme il a fallu lui construire une grange en urgence, nous lui sommes venus en aide. Réal habitait à environ 3 milles de la maison paternelle. Pendant la construction de la grange, soirs et matins, je faisais le trajet en bicyclette parce qu’il fallait que j’aille aussi aider à traire les vaches chez Omer.
En 1941, Omer et moi avons décidé de nous acheter un camion. Comme Omer s’occupait de sa ferme, j’ai pris le camion pour faire du transport. C’est à partir de ce moment que j’ai commencé à m’éloigner de la maison. Je suis allé à Trinité-des-Monts, pour ensuite me rendre à Rimouski avec des chargements de bois. Ces voyages m’ont réconforté. En effet, depuis le don de la terre familiale à mon frère Omer, je me trouvais sans demeure. Je n’étais pas plus chez moi chez mon frère Omer, que chez ma grand-mère.
Pour me rendre à Trinité-des-Monts, j’ai engagé mon cousin Gérard Ouellet comme aide. Mon père nous a accompagnés. La première semaine, nous avons travaillé jours et nuits. Nous chargions et déchargions manuellement le bois du camion et nous dormions à tour de rôle. À la fin de la première semaine, nous avions réussi à faire le trajet dix-huit fois
Mon cousin a voulu célébrer l’exploit en allant chercher une pinte d’alcool pour le lendemain, dimanche, et moi, j’ai acheté une caisse de grosses bouteilles de bière. Le jour suivant, donc, nous avons assisté à la messe de 7 h puis nous avons commencé à fêter Mon père s’est rapidement assoupi vu son grand âge et l’état de fatigue dans lequel il se trouvait.
En face de notre pension, se trouvaient un magasin général ainsi qu’un hôtel. Il y avait trois garçons et une fille d’à peu près notre âge qui y vivaient. Les parents étaient absents et il y avait beaucoup de jeunes gens réunis sur le perron. Nous sommes allés les rejoindre pour faire connaissance. C’est à ce moment que mes yeux se sont posés sur la jeune fille qui allait finalement devenir ma femme. Je ne lui ai pas parlé ce jour-là, mais ça n’a pas tardé. C’était au mois de juillet 1942.
Au début de septembre, alors que j’étais en train de vider un chargement de calco (chaux qui remplace l’engrais chimique à mettre sur les terres) destiné à la coopérative agricole de St-Mathieu pour laquelle je travaillais, la grange de mon frère Omer a brûlé avec toute sa récolte. Il ne restait que ses quinze vaches qu’il fallait traire dehors, soir et matin. Il était urgent de reconstruire la grange avant l’hiver. Cela impliquait de prendre le bois dans la forêt, le bûcher, le faire scier et l’employer au bâtiment. Tout cela prenait beaucoup de main-d’œuvre. Beaucoup de bénévoles ont donc participé car à la campagne, les gens s’entraident. Moi, j’avais la tâche du transport du bois de la forêt au moulin à scie. Et du moulin à scie à la maison.
Avant cette catastrophe, j’avais fixé la date de mon mariage pour le samedi 3 octobre. Le vendredi 2 octobre, lorsque l’Angélus du midi a sonné, j’étais encore en train de débarquer un chargement de billots au moulin à scie de St-Mathieu. Il fallait que je sois à Trinité-des-Monts le soir même, soit à 60 milles de là. Il me fallait me laver, dîner et arrêter chez un barbier à Rimouski en passant. Les gens qui devaient assister à mon mariage commençaient à penser que je ne viendrais pas En arrivant à Trinité-des-Monts, une surprise m’attendait : mon beau-père m’annonça qu’il fallait prendre le bateau du quai de Trois-Pistoles à 7 h du matin, tout de suite après le mariage. Nous devions traverser le fleuve pour nous rendre aux Escoumins pour un voyage de noces et me présenter à sa famille du Lac St-Jean.
De Trinité-des-Monts à Trois-Pistoles, il y avait environ 30 milles à parcourir. Alors, j’ai donc dû aller voir le curé et lui demander de nous marier à 3 h du matin Il a consenti et ça m’a coûté 10 $. À Trinité-des-Monts, il n’y avait pas d’électricité. Inutile de dire que la foule venue assister à notre mariage n’était pas dense Nous avons signé les registres à la lueur d’un petit fanal à l’huile et sommes partis après le déjeuner pour le grand voyage. En guise de compagnon de voyage : mon beau-père, ma belle-mère et un passager étranger, probablement pour aider à payer les dépenses… Je n’ai jamais vraiment su la raison de sa présence mais il faut dire que j’étais prêt à tout accepter pour obtenir la main de ma femme
La descente de Trinité-des-Monts à Trois-Pistoles ne fut pas de tout repos. Sur la route, à 5h du matin, un 3 octobre, nous avons rencontré beaucoup de brume. Lorsque, finalement, nous sommes arrivés à 7 h moins 5 au quai, c’était pour apprendre que le bateau ne traversait pas Nous avons donc dû faire le tour par Québec, ce qui nous a retardé considérablement. En chemin, nous avons dormi à Hébertville. Le lendemain nous arrivions au Lac St-Jean. Je me trouvais en terre inconnue
Par le plus grand des hasards, nous avons croisé une automobile dans laquelle ma belle-mère a reconnu le chauffeur. Ce fut réciproque C’était Rosario Miville, le frère de mon beau-père. Après de chaleureuses accolades, Rosario demanda à mon beau-père pourquoi nous allions dans cette direction. Mon beau-père répondit qu’il allait voir sa mère à Métabetchouan. Et Rosario de répondre que sa mère n’habitait plus là, qu’elle habitait maintenant à St-Jérôme. Le beau-père ne savait plus où sa mère habitait Nous avons finalement suivi le frère pour retrouver la mère Ensuite, tout s’est bien déroulé. Nous avons fait le tour de la parenté et nous sommes revenus à St-Mathieu. Ma femme et moi avons débarqué chez mes grands-parents au village et mes beaux-parents sont repartis. C’est là que notre vie de bonheur a commencé Nous étions pauvres, mais libres
Nous sommes demeurés chez Omer tout l’hiver parce que nous n’avions pas encore de domicile et surtout, pour l’aider à terminer la construction de sa grange ainsi que charroyer le fourrage nécessaire, donné par les gens de la paroisse, pour l’aider à nourrir son troupeau.
En 1943, à 21 ans, j’ai obtenu de mon frère Omer, le paiement de mon héritage provenant du bien paternel. Ces 1200 $ m’ont alors permis d’acheter un lot au Lac-des-Aigles et d’y installer ma petite famille en devenir. En effet, Gracia était enceinte de notre premier enfant, Gisèle. En plus de ma partie d’héritage, mon frère Omer m’a aussi fait don d’une vache et de différentes choses qui nous ont été bien utiles à ce moment-là. De plus, pendant trois ans, mon père est venu m’aider à bûcher du bois pour faire de l’argent et aussi nous aider à vivre.
Cette année-là ma femme, enceinte de six ou sept mois de Gisèle, est venue me rejoindre à pied à environ 4 arpents de la maison alors que je bûchais du bois de chauffage.
Dans ma surprise, je lui ai presque adressé des reproches au lieu de m’arrêter, de m’asseoir avec elle et de l’embrasser. Je n’étais pas habitué à pareille attention, n’ayant jamais vu mon père embrasser ma mère, même au jour de l’an. Il a fallu que j’apprenne tout ça par moi-même.
Le 22 septembre de cette année-là (1943), les douleurs ont commencé tôt le matin. Je suis donc parti chercher la garde-malade, aux environs de 6h.
Comme j’avais un champ d’avoine prêt à être fauché en arrière de la grange, j’ai dû vaquer à mes tâches, me trouvant toutefois dans un état de grande inquiétude. Je revenais voir ma femme régulièrement, toujours sans résultat. La garde commençait à me trouver fatigant. Vers 20h, elle a finalement décidé de prendre les grands moyens en sortant les forceps. Une fois prête à agir, elle s’est placée au pied du lit prête à tirer et moi, avec l’aide de mon voisin, nous retenions ma femme pour que la garde puisse allée chercher le bébé. C’est une chose que je ne souhaite à personne Plusieurs d’ailleurs n’auraient pu assister à pareille scène.
Au Lac-des-Aigles où nous sommes demeurés trois ans, nous avons eu trois enfants. Gisèle, en 1943, Gabrielle, en 1944 et Pierrette en 1945. Pendant ces trois ans, les parents de mon épouse qui demeuraient à Trinité-des-Monts venaient souvent me voir pour m’inciter à déménager plus près d’eux. Ils ont fini par me convaincre.
En 1946, je vendis mon lot et mon cheptel. Avec 3000 $ en poche, nous nous sommes installés dans une maison sans eau courante fournie par mon beau-père, à côté de chez lui. De plus, je travaillais dans son moulin à scie et sur sa terre pour un salaire de 100 $ par mois. Par la suite, profitant un peu de mon inexpérience, il m’a vendu son moulin à scie environ trois fois le prix qu’il valait en réalité. Ce qui fait que j’y ai investi tout mon avoir et que je ne l’ai jamais revu.
À Trinité-des-Monts, nous avons eu cinq enfants : Rose en 1946, Gaétan, en 1948, Raymond, en 1949, Michel, en 1950 et Jacques, en 1951. Malheureusement, Michel n’a pas survécu plus de 2 ½ mois. Ma femme l’a nourri au compte-goutte pendant tout ce temps à toutes les demi-heures, jour et nuit. Ça prenait ma femme pour faire ça Nous avons même réussi, avant sa mort, à le faire confirmer par le curé de la place.
En 1942, au moment de fonder ma famille, je pris conscience du rôle de père de famille qu’il me fallait assumer. J’ai donc décidé d’arrêter de boire et d’adhérer au club des Lacordaires. J’ai prêté serment et j’ai la fierté de l’avoir honoré pendant quinze ans. La seule fois où j’ai failli à mon serment, c’était un soir d’hiver lors d’une tempête de neige. Après un après-midi où j’étais allé chercher mes enfants à l’école avec mon voisin Frédéric Turgeon qui avait attelé son cheval, nous sommes arrêtés chez lui en passant et il m’a servi un verre de gin que j’ai accepté. Il faut dire que le voyage aller-retour à l’école avait duré trois heures. Ça s’est passé dans le rang St-Roch à Lévis, en 1958.
Après avoir opéré le moulin pendant plusieurs années, j’ai dû le remettre à mon beau-père puisqu’en 1951, nous avions décidé de déménager en Abitibi. Avant de partir, je suis allé à St-Mathieu pour faire nos déchirants adieux à ma famille.
Le jour de notre 9e anniversaire de mariage, soit le 3 octobre 1951, avec 500 $ en poche, mon nom, ma femme et mes sept enfants, dont le petit dernier à peine âgé de soixante jours, j’ai fait monter ma famille dans le train destination Abitibi, pour débuter ce qui serait l’année la plus difficile de mon existence.
Arrivés le 3 octobre à la noirceur sans ménage, sans eau courante et sans bois de chauffage. Tout était à refaire. Pour trouver une eau potable, il fallait marcher près de trois milles. Le sol où nous nous apprêtions à nous établir était en glaise qu’on appelait gombo. Il y en avait une couche de cinquante pieds d’épaisseur. C’est dire que l’eau était profonde. Au bureau de la colonisation, nous nous sommes procurer des lits de camps, un poêle de tôle, de la literie, de la vaisselle, une lampe avec de l’huile. Notre ménage nous est parvenu seulement huit jours plus tard. En arrivant, j’ai acheté un peu de nourriture pour souper, puis il nous a fallu installer les lits pour coucher les enfants. On ne pouvait pas s’asseoir. Nous n’avions pas de chaise, seulement un banc que nous avons renversé pour en faire un lit pour le bébé.
Nous entrions dans une maison neuve car j’étais venu environ trois semaines plus tôt pour aider à sa construction. Il restait quelques planches que j’avais rangées au grenier.
Après que les enfants furent couchés, je suis allé au grenier fabriquer une table à la lueur d’une lampe de poche. De plus, il me fallut rapidement couper du bois pour notre chauffage car l’hiver était proche.
Je n’avais pas d’argent à débourser pour l’achat d’un véhicule; alors j’ai échangé ma vieille ambulance de l’armée pour un camion tout aussi vieux. Ensuite, j’ai trouvé des contrats de transport, pas toujours payants, mais il fallait faire quelque chose si on voulait pouvoir manger. Nous avions les allocations familiales, mais c’était loin d’être suffisant. En Abitibi, le coût de la vie était plus élevé qu’ici et pour pouvoir m’endetter, il fallait que je travaille.
Il m’est arrivé un soir de rentrer à une heure du matin, me mettre à table pour souper pour ensuite poser la lampe près de la fenêtre et aller scier du bois de chauffage. Le lendemain matin, je repartis travailler à 7 h. Ce n’était pas suffisant pour nous faire vivre mais au moins, je gagnais lentement mais sûrement la confiance des gens qui pouvaient me faire crédit.
L’année suivante, soit pendant l’été 1952, nous sommes déménagés à Amos pour habiter avec mes frères au Rang IV sur une propriété de quatre lots que mes frères avaient achetée après avoir vendu leur terre à St-Mathieu et St-Simon. Mon frère Omer m’a prêté un lot sur lequel rien n’était encore bâti. Le Ministère de la Colonisation m’a ensuite permis de construire, avec l’aide d’Omer, une maison. C’était d’ailleurs pour le fils de ce dernier qui était trop jeune pour avoir le droit de construire aux dépens du Ministère. Mes frères ont réussi à obtenir chacun un lot de bois à Bearn, sur les terres du gouvernement, pour nous permettre d’aller bûcher l’hiver, ce qui nous aidait à vivre. Ça faisait pas mal de monde sur le quatre chemins où nous demeurions. Chez Omer, il y avait douze enfants, chez Réal, treize enfants et neuf enfants chez nous. Puisque nous étions nombreux, nous avons obtenu des lots de support.
À Amos, je me suis mis à la recherche de travail. J’ai obtenu du travail de la société d’entreprise générale Edouard Paré pour travailler, durant une semaine, à la réparation d’un pont. Je remplaçais un ouvrier malade. M. Paré est venu demander un ouvrier pour travailler sur sa ferme. L’ouvrier devait de préférence savoir faucher à la petite faux. Comme j’étais qualifié pour le faire, on m’a transféré sur sa ferme comprenant 150 bêtes à cornes. J’y suis demeuré trois étés. Les hivers se passaient à bûcher sur ma terre. Le chômage venait compléter le revenu familial. Le lot que j’habitais n’étant pas à moi, je ne le cultivais pas. La récolte de foin appartenait à mon frère Omer. Toutefois, pour lui permettre d’obtenir ses lettres patentes, ça prenait 30 acres en culture. J’ai donc fait labourer par le Ministère 10 acres de terre que j’ai ensemencés. Ça lui a permis d’obtenir ses lettres patentes et devenir propriétaire de son lot avec tous ses droits.
En Abitibi, nous avons eu nos deux dernières petites filles, Diane et Monique, ainsi qu’un petit garçon, Daniel, malheureusement décédé à la naissance. Son arrivée provoqua une hémorragie interne nécessitant la grande opération. À cette époque, je travaillais à La Sarre. Quand je suis arrivé à l’hôpital, l’aumônier était à la porte de la chambre en train de bénir ma femme. La vie n’était pas toujours drôle. Ma femme a eu beaucoup de difficultés par la suite à accepter le fait de ne pouvoir avoir d’autres enfants.
Anecdote : Les difficultés de la vie ou Mathieu et la prison
Un bon jour, en 1953, le différentiel de mon vieux camion a cassé. Comme un morceau neuf aurait coûté plus cher que ce que le camion valait, j’ai décidé de le faire souder par un spécialiste demeurant à Amos. Mais, il me fallait attendre car ça lui prenait une partie de la nuit pour enlever le morceau, le souder et le reposer. J’ai donc demandé à quelqu’un que j’embauchais occasionnellement d’aller débiter du bois de chauffage pour ma femme qui n’en avait que pour une journée. Ce soir-là, c’était en janvier et il faisait trop froid pour coucher dehors, je suis donc allé au poste de police pour demander le gîte pour la nuit, espérant une cellule. Il faisait plus de 30 degré celcius sous zéro. Mais c’est au poste d’incendie qu’on m’a dirigé où j’ai couché dans la cabine du camion de pompiers. Heureusement qu’il n’y a pas eu d’incendie cette nuit-là. Quand je suis arrivé chez moi, j’ai constaté que mon homme de main m’avait laissé tomber et qu’il ne restait qu’un morceau de bois dans la boîte. Il n’était pas question de me mettre à table pour manger. Il fallait d’abord consoler ma femme et aller débiter du bois pour pouvoir se chauffer. Ce qui m’amène à vous raconter une autre histoire.
Par la suite, alors que je rencontrai un jeune homme vendant des stylos et autres babioles pour se réhabiliter à sa sortie de prison, je lui demandai de quelle façon il s’y était pris pour pénétrer les murs carcéraux. À son grand étonnement, je lui mentionnai alors que moi, je n’avais pas réussi à y entrer
Au début de l’année 1958, mon beau-père est venu me voir en Abitibi pour me dire qu’il avait trouvé une terre à vendre à Lévis et qu’il y avait une possibilité d’achat avec prêt agricole. Je suis allé voir et ça me convenait. Il fallait toutefois nous dépêcher; le foin était mûr. Tellement, qu’il me fallut le faucher, le presser avec l’aide du voisin et l’engranger avant de déménager d’Amos. J’ai à ce moment échangé l’auto que je possédais pour un tracteur de ferme avec faucheuse.
À Lévis, dans la paroisse St-Joseph-de-la-pointe-de-Lévy plus précisément, grâce au poêle à bois qui était à l’intérieur, c’était la première fois que ma femme bénéficiait de l’eau chaude courante dans la maison. Nous avions une bonne maison avec six chambres à coucher. Ça nous permettait de loger nos six filles et trois garçons. Comme les revenus du début ne nous permettaient pas de vivre, il me fallait donc travailler à l’extérieur. En 1959, j’ai réussi à me trouver un emploi au chantier Maritime de Lauzon pour quelques mois. J’y suis par la suite retourné en 1963. Ma femme gardait trois enfants du bien-être social mais encore, ce n’était pas suffisant. Il fallut donc s’organiser pour pouvoir cultiver la terre le plus rapidement possible.
Quand les premiers foins furent dans la grange, je me suis aperçu que le soleil filtrait à travers la couverture. Je suis donc allé à la Coopérative de St-Charles et leur ai demandé, après m’être fait connaître, si je pouvais obtenir de la tôle pour couvrir ma grange en leur disant que j’ignorais quand je pourrais les rembourser. J’en suis revenu et dans l’après-midi, un homme est venu voir les lieux. Il est reparti sans dire un mot alors que nous étions tous dans le champ en train de préparer le terrain pour cultiver des fraises. Le lendemain après-midi, j’avais ma tôle. Ce qui m’a mis mal à l’aise après coup, c’est que l’épicier Turcotte de Beaumont où nous faisions affaire depuis notre arrivée et où j’avais un compte de près de 300 $ m’a dit qu’il aurait été capable de me fournir ma tôle.
La première année, ayant bon espoir de rentabiliser ma terre, j’avais planté dans mon jardin cent pieds de tomates et autant de choux. Mais j’ai été très déçu. Ma clientèle n’était pas encore bâtie et disons que je n’avais pas le tempérament d’un bon vendeur J’ai vendu quelques gros paniers de tomates, 80 cents et les choux, 10 cents la pomme. Je n’ai pas recommencé l’année suivante. Il faut admettre qu’à travers tout ça, nos enfants nous avaient beaucoup aidés. Ils n’avaient pas peur de l’ouvrage Par la suite, je me suis lancé exclusivement dans la culture des fraises. C’était plus payant surtout que j’avais le personnel pour la cueillette La dernière année sur ma terre, ce sont les enfants qui ont engrangé le foin. Je n’y ai à peu près pas touché.
Par la suite, les choses se sont lentement mais sûrement améliorées. De petits revenus venaient comblés les manques. Par exemple, des bleuets poussaient sur ma terre près du bord de la route. En face, était situé le Camping Passe-Partout. Je devais donc déployer beaucoup d’énergie pour éviter que les campeurs, qui ne savaient évidemment rien de nos finances, ne se régalent en grevant notre budget
Un soir au souper, un nommé Létourneau est venu me faire une offre d’achat pour ma terre. Il m’offrait 15 000 $. L’offre était alléchante mais pour moi, c’était subit. Après son départ, je suis monté voir les enfants qui étaient en train de faire leurs devoirs pour leur parler de l’affaire. Gaétan n’a pas dit un mot, mais Raymond m’a répondu : «Qu’est-ce qu’on va faire nous autres ? » Ça m’a paralysé et j’ai changé d’idée. Mais ça a généré chez moi d’autres idées. Cette vente aurait été prématurée en raison de la construction de la route 20 qui était sensée passer à la frontière de ma terre. J’avais donc une belle opportunité pour vendre du sable. C’est ce que j’ai fait.
En 1965, j’ai porté un grand coup en achetant une maison en ville assez grande pour loger ma famille. J’ai vendu mon cheptel et nous sommes devenus citadins.
Ce fut aussi l’époque des mariages ; quatre de nos filles et deux de nos garçons se sont exécutés dans une période assez courte. Ce fut notre plus grand bonheur de les voir s’envoler dans la vie et de réussir très bien.
Le mariage des deux derniers est venu un peu plus tard et de parents que nous étions, c’est grands-parents et arrière-grands-parents que nous allions devenir.
C’est notre grande famille aujourd’hui qui me fait dire à qui veut l’entendre que je suis millionnaire
Merci
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